Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/28

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je viens de mettre à fin une périlleuse aventure. » L’autre lui répondit : — « Voici ma gourde, sire chevalier ; mais n’y bois qu’un petit coup, car le vin se vend cher cette année. »

Le chevalier errant vida d’un seul coup la gourde de deux pintes; puis, la rendant au musicien, il lui dit avec un aigre sourire : — « Ton vin est mauvais. » Celui-ci ne répondit rien ; mais, prenant son flageolet, il commença l’air magique de Robert de Carcassonne qui fit danser les os des morts, au clair de lune, dans le cimetière de Montauban.

L’air était vif et animé. Voilà que le chevalier, ivre à demi, se mit à danser sur la pelouse, comme un ours mal dressé. Il étend les bras, il balance sa tête sur ses épaules, frappe la terre du talon, et appuie fièrement sa longue épée contre son épaule, comme un hallebardier qui va à la guerre. ’

— « Grâce, merci! seigneur nécroman, » cria-t-il bientôt, perdant l’équilibre. Et il dansait toujours. — « Sire chevalier, répondit enfin le musicien, donnez-moi un écu au soleil pour le vin que vous avez bu ; alors nous cesserons, moi de jouer, et vous de danser. — Tiens, dit le chevalier, tirant un écu de son escarcelle, mais au diable si je bois jamais à la gourde d’un vilain ! »

22 février 1818.

Bertrand cherchait sa manière dans ces esquisses légères, qu’il reprenait plus tard, soulignant, accentuant, corrigeant, inversant, pour arriver par plus de fermeté à des effets plus nets et plus visibles. Il nous a paru curieux, pour les lecteurs qu’intéressent le côté intime de l’art et la marche d’un esprit, de rapprocher ces premiers états de l’état définitif. Malheureusement, les pièces de Gaspard de la Nuit ne portent