Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/314

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et comment obéirait-il à son semblable, qui n’a pas obéi à son Dieu ? Plus d’un de ces potentats qui partageaient dans le ciel le commandement de la révolte, insultés par d’amers reproches, ont été dépouillés de leurs anciens droits par une génération plus perverse, qui ayant reçu l’être de leurs alliances impures, n’a jamais connu la vérité et les délices du ciel. Mais Satan, et Satan seul, s’était maintenu contre les fatigues et les dégoûts de l’autorité, et contre les complots, plus puissant de lui-même, plus éclairé, plus hardi, plus ferme en ses desseins, et surtout plus ambitieux qu’aucun des anges rebelles; d’ailleurs conservant encore en sa personne et dans le souvenir de ses vassaux, des masques distinctives du premier des archanges.

» Satan cependant avait perdu de son ancienne audace, depuis que l’Homme-Dieu avait éclairé le monde : la religion sainte se répandant rapidement sur la terre, y ébranlait sa domination. Les obstacles qu’il prévoyait, occupaient sa pensée, et comme pour proposer de nouveaux projets ou demander de nouveaux efforts, il réunissait alors même ses compagnons d’infortune sur une plage solide que le chaos leur cédait pour quelques instants ; assemblée imposante, que depuis plus de deux siècles, n’avaient point vue les enfers ! — Leur amphithéâtre était une chaîne de noires montagnes dont la base s’inclinait sur une mer de bitume enflammé. Assis au milieu sur un rocher, Satan ap-