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Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/313

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de ce que fut le monde et de ce qu’il pourrait devenir encore ; c’est le réduit laissé à l’antique chaos, non le contemporain de Dieu, qui n’est point soumis au temps, mais sa première ébauche. Là, il n’est plus de lois pour la matière, ni de sympathie entre les éléments ; là, il n’est plus de vie que la vie du crime et du malheur ; plus de règles, plus de périodes de repos, et surtout plus d’espoir. Les airs, si l’on peut appeler ainsi des vapeurs grossières, empoisonnées, sortant avec mugissement des corps qui se décomposent, enveloppent ces lieux d’une tempête éternelle, près de laquelle ne serait rien le fracas de nos plus grands orages. Ce monde n’est éclairé que par les flammes qui cà et là effleurent des lacs bouillonnants, ou sortent des crevasses de ses îles éphémères, et par la foudre qui sillonne les nuages, voile ténébreux qui empêche de découvrir les astres les plus rapprochés de ce point malheureux de l’immensité. Seulement de siècle en siècle, une comète, globe usé, condamné peut-être, embrasé jusqu’aux racines de ses montagnes, après avoir longtemps épouvanté les sphères qui ont vu ses lugubres funérailles, viendra précipiter ses débris dans cet égout de l’univers.

» Satan régnait toujours dans les enfers ; car tant est grand l’attrait de la supériorité, qu’on ambitionne même l’empire du malheur! Ce n’est pas que plus d’une révolution n’ait changé les dominations infernales : la concorde ne peut exister entre les méchants,