Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/40

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LES CHASSEURS SUISSES (1)

« Au diable la besace! s’écria le vieillard.

— Le diable a bien souci de votre besace qui ne renferme que du plomb, de la poudre et du tabac, murmura le jeune homme.

— Le diable est bon enfant, répliqua maître Schwartz.

— Il n’accepterait la besace qu’en attendant le besacier. Vous êtes sans doute un homme de poids, maître Schwartz; mais le diable préférerait, je pense, le maire de Saint-Loup et le juge Pfeiffer.

— Que Dieu leur donne paix en l’autre monde, après la guerre qu’il nous font en celui-ci, soupira le vieux chasseur. Quatre francs d’amende pour le meurtre d’un chamois , l’adresse est noblement récompensée !

— Ne pleurez pas, maître, il n’y aura pas d’amende aujourd’hui. Je ne vois pas même un oiseau à qui envoyer un grain de plomb. Que ne suis-je encore cousant mes souliers près de mon feu de tourbe, au lieu de flairer sur ces montagnes les trente-deux vents.

— Modère-toi, mon garçon, et d’apprenti cordonnier tu deviendras maître bottier à Lausanne ou à Genève. J’ai été, moi, pendant sept ans, rempailleur de chaises; et que de tribulations pendant sept ans ! Mais, à l’exemple de Job, j’ai offert ma patience au Seigneur, et me voilà sacristain de l’église de Saint-Loup.

— Eh bien ! je vous le demande, monsieur le sacristain, si vous ne savez manier que la hallebarde, comment voulez-vous abattre un chamois? »

Maître Schwartz tousse pour ne point répondre, et, le corps penché en avant, il gravit le sentier qui se dessine à peine devant ses pas ; le jeune homme, moitié murmurant, moitié riant, le suit, son fusil sous le bras, et les mains dans des gants de peau d’ours.

(1) Promière année, u° 127.