Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/237

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nécessité, qu’il leur enseignât le moyen de satisfaire aux exigences du pouvoir sans renier leur foi. Du moins, ils l’adjuraient de fuir, puisque c’était possible et que les autorités elles-mêmes semblaient s’y prêter. Agenouillés devant l’évêque, ils se serraient autour de lui, le touchaient de leurs mains suppliantes, essayaient de le fléchir en l’attendrissant sur son propre sort. Jader, qui avait subi la flagellation sous Dèce et qui jouissait d’une grande considération parmi les fidèles, se montrait plus pressant que les autres. Il disait de sa grosse voix rauque qu’il essayait d’adoucir :

« Père saint, nous sommes venus pour te voir une dernière fois, mais nous voudrions te sauver ! Nous savons que tu refuses. Je t’en prie, nous t’en prions, garde-toi pour nous ! Nous avons besoin de toi ! Les païens eux-mêmes te demandent de te sauver !

– Oui, dit Cyprien, ils sont venus me trouver lorsque j’étais encore à Curube. Mes vieux amis, Publicola de Carpi, Liberalis d’Hadrumète, voulaient me faire évader. Ils me proposaient l’hospitalité dans leurs domaines. Ces jours-ci encore, quand j’arrivai aux Jardins, ils renouvelèrent leurs instances… »

Straton le banquier crut devoir intervenir au nom de ses collègues :

« Si tu le veux, Père, nous t’offrons l’argent pour le voyage. La voiture, les chevaux sont prêts. Tu n’as qu’à consentir : il est encore temps ! »

Des voix s’élevèrent parmi les artisans :

« Consens, Père très saint, nous t’en conjurons : sauve-toi ! sauve-nous !… par la charité du Christ !

– Tu entends ce qu’ils disent ? fit Cécilius en regardant son ami avec un air de tendre reproche.

– Non ! prononça l’évêque, je ne me sauverai pas, — ou plutôt je me sauverai pour l’éternité. Si je déserte le combat, d’autres m’imiteront. L’Église, trahie par ses chefs, sera vaincue. D’ailleurs pourquoi pleurez-vous sur moi ? Je ne marche pas à la mort, mais au triomphe… »