Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/243

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rue. La foule qui veillait devant la maison entonnait un hymne. Ils chantaient pour combattre le sommeil. Ces chants parurent contrarier vivement Cyprien :

« Pontius, dit-il, va les prier de ma part de retourner chez eux… S’ils refusent par affection pour moi, au moins qu’ils fassent rentrer les jeunes filles ! Il ne convient point qu’elles passent la nuit dehors, dans cette promiscuité des portiques et des rues. Surtout, tâche d’obtenir qu’ils se taisent ! »

Et, se retournant vers ses invités :

« Il ne faut pas que les Gentils nous accusent de rivaliser avec les chanteurs et les tragédiens de leurs théâtres, pas plus qu’avec leurs athlètes, leurs bestiaires et leurs gladiateurs !

– Tu as raison, répondit Honoratus le rhéteur, le vulgaire n’est point clairvoyant. Il ne distingue pas entre le comédien qui pousse des plaintes ampoulées et le martyr qui crie sa souffrance avec son espoir, entre le gymnosophiste qui prend des poses devant le public et le chrétien qui meurt pour sa foi… Ainsi il arrive souvent que la leçon donnée par les nôtres est perdue.

– Tu te trompes, dit l’évêque. Ce n’est pas en vain que le sang chrétien coule dans leurs théâtres… Hélas ! une des plus grandes infirmités humaines est de ne pouvoir convaincre, ni être convaincu par la raison ! C’est pourquoi nous devons recourir à la vertu persuasive du sang. Il n’y a que nos plaies et notre sang qui puissent parler au monde, forcer à raisonner les habiles et les sages et toucher ceux de la plèbe.

– Toi, dit Faustus, tu persuaderas par la raison. Tu n’es pas l’exalté qui ameute les foules, qui défie les gradins et les loges de l’amphithéâtre et qui se précipite à la mort avec un zèle souvent téméraire. Toi, tu sais pourquoi tu veux mourir. Ton sacrifice a été longuement délibéré !

– Ne soyons pas injustes, dit Cyprien, pour tant d’humbles serviteurs du Christ qui sont morts comme