Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/287

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Cécilius répondit :

« En une chose si juste, il n’y a pas à réfléchir. »

Et il se refusa obstinément à rien ajouter. Malgré les menaces, les intimidations, les flatteries du Syrien, il gardait sa tranquillité d’âme. Jamais sa pensée ne lui avait paru plus lucide, plus lumineuse qu’en ce moment. Pour lui, sa détermination était une chose si raisonnable, qu’elle échappait à toute discussion : elle était la raison même. Il ne pouvait pas accorder le « oui » qu’on voulait lui extorquer, l’assentiment honteux qu’on essayait de lui imposer. Le monde ignoble que symbolisait l’Empire était la négation du Christ, de son amour, de sa justice, de sa vérité. Il ne voulait pas de ce monde-là. Il fallait que le règne du Christ arrivât, selon la promesse des Écritures. C’est pourquoi, à toutes les tentatives du procurateur, il n’opposa que le silence.

Le lendemain, on lui remit ses chaînes. Mais, à sa grande surprise, il ne fut point expédié dans le sous-sol. On le replaça dans l’équipe de manœuvres où il se trouvait avant son accident. Il rentra dans l’ergastule où il se vit de nouveau accouplé avec l’Italien de Réate. Cet homme, ce serait dorénavant son double, l’ombre inséparable qui le suivrait jusqu’à son dernier souffle. À l’intérieur du campement comme dans les marches au dehors, l’un ne pouvait bouger sans l’autre. Ils dormaient côte à côte sur le même lit, les pieds réunis par les mêmes chaînes, qui s’inséraient dans des anneaux scellés de distance en distance entre les dalles du pavement. Une fois sur le chantier, ils étaient détachés, mais chacun gardait aux jambes ses entraves, lesquelles avaient tout juste la longueur suffisante pour leur permettre de marcher et d’exécuter les mouvements de leur travail.

La jouissance de continuer à vivre en plein air, de voir toujours la lumière du soleil, adoucit d’abord pour Cécilius l’ignominie et la rigueur d’un tel traitement. Mais cette satisfaction ne dura guère. L’initiation au labeur servile fut dure pour ses muscles et sa chair d’aristocrate.