Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/302

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paniers de figues fraîches, les myrtes, le vin doux, les violettes épanouies auprès de la source ?… »

À ces mots, le paysan éclata de rire et il se mit à respirer bruyamment :

« Moi je sens le fumet des grives… Cela sent la grive, je vous assure !… Voici que les brebis reviennent à l’étable. Les femmes, chargées de provisions, courent à la cuisine. La servante est saoûle. L’amphore est renversée… Ah ! ah ! ça sent le vin ! ça sent le rôti ! »

Cécilius pleurait en écoutant ces divagations. L’instant d’après, les malheureux dégrisés, frissonnant sur la terre glacée de leur prison, flairant les miasmes de la gadoue, l’infection perpétuelle de cette sentine, se retrouvaient devant toute l’horreur de leur sort.

Alors, pour fouetter les énergies, raviver les colères, le juif d’Alexandrie se mit à réciter d’une voix stridente un poème sibyllin, qui courait alors les synagogues d’Égypte et même les communautés chrétiennes. Il clamait :

« Malheur à toi, fille du Latium, vierge molle et opulente, passée au rang d’esclave ivre de vin ! A quels hymens tu es réservée ! Une dure maîtresse tirera tes cheveux. Tu pleureras, dépouillée de ton brillant laticlave et revêtue d’habits de deuil, ô reine orgueilleuse, fille du vieux Latinus ! Tu tomberas, abattue pour toujours. La gloire de tes légions aux aigles superbes s’en ira en fumée ! Où sera ta force ? Quel peuple voudra être ton allié parmi ceux que tu as asservis à ton ambition et à la voracité de ton ventre ?…

Et, aux applaudissements des Grecs, des Asiatiques et des Africains, il reprenait avec une exaltation farouche :

« Oui, tu vas disparaître, ô Aigle, et tes ailes horribles, et tes ailerons maudits, et tes têtes perverses, et tes ongles détestables, et tout ton corps sinistre, afin que la terre respire, qu’elle se relève délivrée de ta tyrannie et qu’elle re-