Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/323

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hautes montagnes de l’Atlas. Toute la nature en joie semblait émerger d’un bain d’innocence. Une pureté baptismale enchantait les yeux des pauvres mineurs, encore mal habitués au grand jour. Après les ténèbres et les miasmes étouffants de la mine, quelle ivresse de voir encore cette belle lumière, de respirer cet air subtil et frais du matin ! Soudain, Nartzal, qui marchait en avant de Jader, se retourna pour lui dire :

« Frère, te souviens-tu de la forêt de Thagaste, où nous passâmes, l’autre année, avec Cyprien ? Elle était toute blanche, elle aussi, et pleine de rossignols…

– Je m’en souviens, dit Jader. Mais, le soir, le ciel s’empourpra d’un rouge de sang : c’était l’annonce de notre martyre. Qui aurait pu croire que cela fût si proche ? »

Alors Mâtha, son compagnon de chaîne :

« Et te rappelles-tu, frère, l’auberge de Thubursicum et le serpent qui s’enroula autour de ta tête, comme un diadème ?

– Ah ! reprit Jader, avec un étrange accent de jubilation et de fierté, mon cœur était aveugle. Je ne devinais pas à quelle couronne, et combien plus glorieuse que toutes celles de la terre, j’étais prédestiné !…

– Oui, oui ! nous aurons la couronne et la pourpre ! » lança Nartzal, en agitant ses bras enchaînés, comme un vainqueur du stade.

Ils devisaient ainsi tout en marchant, avec une gaieté un peu fébrile. Les autres restaient toujours silencieux, l’air absorbé dans une méditation sans fin. La pensée de la mort toute proche les rendait graves. Cécilius y pensait peut-être plus que ses compagnons. Mais l’acceptation réfléchie du sacrifice le fortifiait. Il ne regrettait rien du monde. Seule, l’absence de Birzil lui était une pointe douloureuse. Le souvenir de l’ingrate qui, malgré lui, passait et repassait devant son esprit, troublait un peu sa sérénité d’âme. Mais la paix profonde des choses, la bonté qui semblait descendre du ciel enveloppaient son être, guérissaient les cicatrices de ses vieilles blessures.