Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/82

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large et très peu crédule était comme perdu : il avait l’air d’un provincial arriéré. En tout cas, un sceptique de ce genre était un oiseau rare. De là l’estime de Cécilius pour lui. Le chrétien trouvait dans ce vieillard lettré un juge indulgent à sa croyance. Certainement Martialis, par amitié pour son voisin, s’était entremis auprès du légat, afin d’arrêter toute poursuite contre Cyprien et ses collègues. Avant d’écrire à l’évêque de Carthage, Cécilius avait désiré le voir, pour le sonder précisément sur les dispositions du légat de Lambèse. Martialis avait répondu en l’invitant à déjeuner pour le lendemain.

Sous l’allée de platanes, le vieillard marchait difficilement, à cause de sa goutte qui lui avait déformé le pied droit. Mais, par toute une affectation de gaîté, il s’efforçait de faire oublier cette disgrâce. Il disait à Cécilius :

« Tu as dû voir, au-dessus de mon toit, la petite fumée qui annonce l’arrivée d’un ami… Hélas ! dans cette campagne où l’on n’a rien, je ne te ferai pas grand’chère. Mais tout ce que je t’offrirai vient de mon jardin ou de mes champs. Tout a été apprêté pour toi par des mains africaines, des mains qui ont retenu la leçon de nos aïeules… »

Cécilius cherchait en vain, au-dessus des toits, la petite fumée dont parlait son hôte, — une image poétique, sans doute. Il ne voyait que les tourterelles qui roucoulaient sous les tuiles des pigeonniers.

Au bout de l’allée, le corps de logis apparaissait maintenant tout entier derrière un rideau de cyprès, qui défendaient la maison contre le vent du nord. Cette maison des champs n’avait rien de somptueux. C’était une simple ferme, avec sa cour intérieure, son portail pour les charrettes, ses hangars aux fourrages, ses pressoirs, ses écuries, dont les stalles en arcades se déployaient, dans le fond, entre deux gros pavillons carrés, que coiffaient des toits pointus, surmontés chacun d’une girouette. Les fermiers habitaient une des ailes. Tout le devant était laissé à la disposition des maîtres : une succession de