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le débutant

à lire l’adresse au curé et aux commissaires d’écoles, adresse qu’il savait comme sa prière ; car c’était toujours la même formule servant depuis des années à toutes les institutrices à qui on avait confié l’école. L’auteur du petit chef-d’œuvre était un vieil instituteur, qui avait autrefois porté la soutane. On le disait très pieux, on le vénérait pour sa réputation de sainteté, et changer un mot de sa composition, pour ces âmes simples, paraissait sacrilège. Par mesure de prudence, cependant, l’institutrice fit relire deux fois la fameuse adresse à Paul, devant une rangée de chaises, en face de la table portant les prix destinés aux élèves. Ces chaises, la plus belle, celle du milieu, représentait monsieur le curé qui, tantôt, viendrait s’y asseoir, les autres, les commissaires et le secrétaire de la commission scolaire, le jeune notaire du village, devant lequel toutes les institutrices de la paroisse se pâmaient parce qu’il était galant, joli garçon, et qu’il soufflait les réponses aux élèves embarrassés, à seule fin d’obliger ses admiratrices.

Tout était prêt. Mademoiselle Jobin fit ses dernières recommandations à ses élèves. L’horloge, accrochée au mur blanchi à la chaux, sonna neuf heures. Un roulement de voitures se fit entendre sur la route : c’était le curé et sa suite qui arrivaient.

L’institutrice avait mis sa plus belle robe et elle était vraiment séduisante avec ses grands yeux noirs et son teint pâle, la taille cambrée dans son corset, quand elle alla recevoir, sur le seuil, les représentants de l’autorité religieuse et civile. Paul, au premier rang, l’adresse roulée dans ses deux mains, la reluqua en dessous, et de la voir si gracieuse pour les autres, maintenant qu’elle le traitait avec indifférence, il se sentit bien malheureux. Tous les élèves de la classe étaient debout, lui, restait assis. Concentré en lui--

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