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le débutant

vité semblent suspendues, et si l’un n’entendait de temps à autre un chien aboyer, le bruit des grelots d’un attelage qui passe, si l’on ne voyait la fumée s’échapper de la cheminée des maisonnettes semées ça et là le long des routes, on se croirait à jamais enseveli dans un désert de neige et de glace. Les distractions sont rares et à part les fêtes de famille, à Noël et au premier de l’An, les repas des Jours Gras, chacun vit chez soi, pour ainsi dire immobilisé dans l’attente du printemps. La jeunesse, pendant le carnaval, donne bien quelques danses chez Pierre, Jacques ou Baptiste, où le violonneux de la paroisse, aux accords d’un violon éreinté, met en mouvement les belles filles à marier qui transpirent aux bras de leurs cavaliers ; mais ces divertissements ne sont pas partout tolérés. De ces transpirations il est résulté, parfois, quelque grossesse mal venue, et ces accidents ont eu pour effet de jeter du discrédit sur le violon et la danse.

Du reste, Paul Mirot n’avait aucun goût pour ces réunions de jeunes gens s’entassant dans de petites pièces mal aérées, où l’acre parfum de chair humaine s’échappant des jupes tournoyantes et des corsages mouillés, rendait suffocante la chaleur produite par la promiscuité malsaine de tous ces êtres gesticulant et dominant la chanterelle par leurs battements de pieds, sur le parquet, et leur gaieté bruyante. Une fois, seulement, l’un de ses anciens camarades d’école l’y avait entraîné et une belle fille le contraignit à danser avec elle. Aux bras de sa robuste partenaire, excité par l’odeur féminine, à peine atténuée d’un vague parfum d’eau de Cologne, il avait failli perdre la tête et faire des bêtises. Heureusement que la belle fille, douée des meilleures intentions du monde, n’entendait malice aux jeux de mains qui, s’il faut en croire

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