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le débutant

dant, que cette rencontre déciderait de sa carrière.

Ce fut le père Gustin, le doyen des cochers du village, connu de dix lieues à la ronde, comme il le disait à qui voulait l’entendre, pour avoir les meilleurs chevaux du pays, qui amena les visiteurs. Le financier Boissec lui offrit une somme fabuleuse pour sa jument grise ; mais la grise n’était pas à vendre. Horace Boissec, jouissant d’une grand fortune, était venu aux sucres parce que Marcel Lebon, directeur du Populiste, y accompagnait le député Vaillant : car cet homme qui s’était enrichi dans des spéculations plus ou moins avouables, avait maintenant la manie des grandeurs et le plus profond respect pour les journaux, dans lesquels il pouvait lire son nom imprimé. Le directeur du Populiste était pour lui un personnage plus considérable que l’archevêque de Montréal, que le pape même, malgré qu’il fut un fervent catholique à ses heures, surtout quand une colique importune lui faisait songer à la mort et à l’enfer. Le député de Bellemarie, que l’on disait ministrable, n’était pas non plus, pour lui déplaire ; et Jacques Vaillant jouissait, en même temps, à ses yeux, de l’avantage d’être le fils du futur ministre et de l’importance que lui donnait son titre de journaliste.

Il y a des esprits faits pour se comprendre, comme il y a des mentalités si différentes qu’elles ne peuvent que s’ignorer toujours ou se combattre sans cesse, et c’est de la communauté d’idées et de sentiments que naissent les amitiés sincères et durables. Voilà pourquoi Jacques Vaillant et Paul Mirot éprouvèrent une joie réciproque à se retrouver après leur sortie du collège. Abandonnant les visiteurs de marque aux civilités rustiques de l’oncle Batèche et aux minauderies naïves de la tante Zoé, qui était venue à la cabane pour préparer l’omelette au lard, traditionnelle, les

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