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le débutant

riorité pour lui, c’est le droit de commander : il se croit supérieur à toi, à moi, à tous les autres qui, sur son ordre, courent à droite et à gauche, vont à la recherche de la sensation du jour, dans la crainte d’être scoupés. C’est un esclave né, commandant à d’autres esclaves que la nécessité fait plier sous le joug. Bref, je le crois irresponsable de ses actes et je n’éprouve pour lui aucun sentiment de rancune, pas plus que j’en éprouverais pour une machine automatique qui m’aurait pincé les doigts.

— C’est donc pour me réduire à ce pénible esclavage que tu m’as conseillé de faire du journalisme ?

— Mais, non ! mais, non ! Tu n’y entends rien encore. Avec de la souplesse et un peu de philosophie on s’arrange assez bien dans cette galère. J’admets que l’apprentissage du métier comporte une infinité de petites misères. Mais, nous sommes jeunes, nous avancerons. Quand le moment sera venu, nous quitterons le Populiste, et avec l’aide de mon père, qui deviendra ministre un de ces jours, nous fonderons un journal où il nous sera loisible d’écrire ce qu’il nous plaira, un journal sérieux, indépendant, qui ne sera pas une feuille de chou comme celui auquel nous avons l’honneur de collaborer. Je ne voulais pas te faire part de ce projet maintenant, mais puisque tu m’accuses de t’avoir entraîné dans un guet-apens, il faut bien que je te le dise : je ne t’ai fait venir à Montréal que pour cela, afin de t’associer, quand tu auras acquis l’expérience nécessaire, à mon entreprise, dont le succès est assuré d’avance.

— Et si tu te trompais, si tu te faisais illusion ?

— Impossible ! Le public instruit, éclairé, commence à en avoir assez de ces journaux qui ne sont en réalité que des feuilles de réclame et d’annonces, des recueils d’histoires à dormir debout et d’opinions qui,

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