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dans l’isolement luttait, luttait, espérant toujours à force d’énergie, de courage, réussir malgré tout à donner à sa charmante famille, une jeune femme, trois enfants, le confort, le bien-être nécessaire à ces êtres habitués à vivre dans des pièces spacieuses, hygiéniques, chauffées d’une chaleur saine ; il voulait à tout prix leur faire quitter au plus vite l’appartement exigu, — que son changement de fortune l’avait obligé de prendre, dans un moment de difficulté monétaire ; car il les voyait tous dépérir à vue d’œil dans ces logements loués, où, par une ignorance complète de la physique, l’on enlève de l’air tout l’oxygène ; son plus ardent désir était de les amener loin de la ville, le soleil vivifiant, l’air pur de la campagne, étaient les seuls remèdes capables de rendre à sa femme sa santé gravement altérée, à ses enfants, leurs joues vermeilles, leurs lèvres roses, leur vivacité d’autrefois ; rien ne laissait présager qu’il réussirait à pouvoir acquérir un tout petit pied à terre, loin de cette ville dont le brouhaha offrait en ce jour, le tableau le plus vrai de la perfection dans le désordre.

Armand s’était arrêté au coin d’une rue ; les véhicules, en nombre infini, passaient, passaient, sans fin, c’était les véhicules monstres, les véhicules puants, les véhicules légers, effrontés, écrasant, bousculant tout sur leur passage.

Il ne pouvait comprendre à cette heure pourquoi tant de gens sans fortune, végétant, travaillant dur dans les centres populeux, gagnant à peine assez pour exister, ne préfèrent pas la culture de la terre. Celui qui s’y livre avec persévérance en peu d’années recueille un ample bénéfice de ses travaux, surtout de nos jours les machines aratoires facilitent tellement l’ouvrage ; Jean Rivard fut un sage d’embrasser cette noble carrière ; il devint un citoyen, marquant ; vécut heureux et content.

Le sol que nous faisons fructifier, nous récompense amplement de nos labeurs, et n’est-ce pas une joie bien légitime de voir se lever, mûrir, se dorer, les moissons que nous avons semées ; admirer avec satisfaction le tapis si bien nuancé des mille produits nutritifs de la terre ; on dirait que tous les bruissements ambiants, l’harmonie de tout ce qui naît, respire, s’agite, murmure à notre oreille : Vous êtes les bienfaiteurs du monde et toutes ces belles choses sont votre propriété. Vous pouvez dans cette jolie maison, qui déjà vous appartient, recouvrir vos tables de fruits, de légumes savoureux ; entourer tout cela des fleurs du jardin ; rien ne vous refuse son contingent pour vous procurer un bien-être parfait, presqu’un luxe, que vos journées de travail énervant dans les villes ne pourront jamais vous donner ; vos enfants élevés sous un ciel clément, éloignés des embûches

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