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Qui menace de loin et se sauve en rampant.

Allons, point de quartier, commençons par l’avare :
Cet homme, comme on sait parmi nous n’est pas rare ;
Du golfe de Gaspé jusqu’au Côteau du Lac ;
Du fond de Beauharnois jusque vers Tadousac,
Traversez, descendez, ou remontez le fleuve,
En vingt et cent façons vous en aurez la preuve.

Voyez cet homme pâle, et maigre et décharné :
De tous nos bons bourgeois c’est le plus fortune.
Il a des revenus quatre fois plus qu’un juge ;
Mais la triste avarice et le ronge et le gruge :
Plus mal que son valet vous le voyez vêtu ;
À le voir vous diriez du dernier malotru.
De quels mets croyez-vous que se couvre sa table ?
De gros lard, de babeurre et de sucre d’érable.
« Tous les mets délicats font tort à la santé, »
Dit-il, « et trop longtemps manger c’est volupté.
Jamais, surtout, il ne convient de boire… »

Un homme fut ici d’épargnante mémoire ;
Aux bûcheurs de son bois il offrait les copeaux[1]
Et par grâce y joignait les plus petits rameaux.
Ils lui rirent au nez, comme on se l’imagine.
Il fallait voir Orgon, marchant dans sa cuisine,
Regardant, maniant jusqu’aux moindres débris.
Orgon, aimant le vin jusqu’à se mettre gris,
Pour le boire attendait que la liqueur fut sûre ;
Jamais il n’eut l’esprit de la savourer pure :

  1. Pour payement s’entend.