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humaine l’ennuyait souverainement : il était l’exception sur le cent collectif ; sur cent individus quatre-vingt dix neuf sont des niais, donc il était l’homme à plaindre, celui qui pense, qui voit, qui sent, qui souffre ; qui souffre de l’isolement de son génie, le faisant un peu ressembler au malheureux voyageur égaré dans une contrée sauvage, où tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait parait étrange, ridicule à ces incivilisés, le regardant avec des yeux surpris étonnés.

Pauvre Lionel. Oui, il souffrait de se voir perdu au milieu d’un entourage toujours nombreux, qui le recherchait, le cajolait ; le flattait. Il était riche, puissant, savant ; on l’entourait, on le voulait : les femmes se l’arrachaient. Lui restait charmant, mais impassible et froid ; son bel œil noir était trop profond, lui révélait trop vite la petitesse des caractères, la ruse, le mensonge, l’hypocrisie. La psychologie humaine n’avait pas de secrets pour lui.

Au début de sa vie, il avait étudié la médecine, il avait vu couper bien des corps, des bras, des jambes, sans vouloir lui-même opérer. De toutes ces boucheries humaines il avait conclu que pour sauver trois individus on en faisait mourir six. Ce problème résolu il abandonne la science d’Esculape, pour l’étude du droit ; là encore, il trouva des mécomptes ; le droit c’était la raison du plus fort ; la justice,