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rougis de ma faiblesse ; jamais vous ne me connaîtrez. apprenez-le donc, il y a une femme dans le monde qui souffre quand vous souffrez, dont le regard se voile de larmes quand vous êtes triste, elle donnerait vingt fois sa vie pour vous rendre heureux, mais elle mourra sans que vous l’ayez jamais reconnue, plutôt que de perdre l’estime, l’intérêt, l’amour même, que vous dites éprouver pour elle, et qui pourrait s’évanouir à sa vue, comme un beau songe au réveil subit du dormeur.

« LAURE. »

Edgard, ne suis-je pas le plus malheureux des mortels ? Dites, cette femme n’a-t-elle pas été créée pour me tantaliser, si je puis me servir de cette expression ? Les dieux de l’antiquité n’ont jamais inventé de semblables supplices pour tourmenter les humains ? Je n’y puis plus tenir, il faut que je découvre cette inconnue. Qu’elle soit laide, vieille, difforme, n’importe, j’aime mieux cela que l’incertitude. Qu’on me frappe en pleine poitrine, c’est fort bien, j’accepte le coups en homme de cœur, mais suspendre au-dessus de ma tête l’épée de Damoclès, sans qu’elle ne s’abatte jamais en me menaçant sans cesse, c’est insupportable, la position n’est plus tenable.

La curiosité me dévore, je sens mon cerveau en feu, et ce qu’il y a de pis c’est que je crains fort d’avoir pour toujours perdu cette