— Je vais, dit Réal, pour me distraire faire l’indépendant à la manière d’un grand nombre d’imbéciles que nous rencontrons à tout instant sur le parapet, et qui n’ont pas le savoir-vivre de se mettre de côté pour laisser passer leur voisin, ils vous coudoient à qui mieux mieux.
Et le voilà marchant au beau milieu du trottoir, bousculant les hommes, accrochant, dans sa marche insensée plus d’un chapeau de femme, qui furieuse lui lançait un regard courroucé et s’éloignait en murmurant :
— Quel manant !
Moi, qui filais dans son ombre je recueillais tous ces quolibets.
— Tu vas finir, lui dis-je, car si tu continues on mettra la police à nos trousses ; je n’y tiens pas. Entrons dans ce tramway, nous n’avons rien de mieux à faire, nous irons jusqu’au terminus.
Je siffle, le conducteur me voit, on arrête, mais juste au beau milieu d’une mare d’eau sale ; dans ces véhicules on se soucie fort peu de mettre le passager dans l’obligation de se crotter les pieds. Il faut dire aussi que Montréal est renommé pour la propreté de ses rues, nos échevins feraient une maladie si les piétons pouvaient traverser la chaussée sans avoir de la boue jusqu’à la cheville.
Le char était plein. Nous pûmes trouver deux sièges, tout ce qui restait. J’avais pour vis-à-vis une grosse boulotte aux joues rubicondes, escortée d’un petit homme maigre et sec, salivant sans cesse à droite à gauche d’une manière insupportable. Une jeune femme, assise à côté de lui, avait souvent déjà froncé ses jolis sourcils bruns et serré autour d’elle sa robe de satin fumée de Londres, afin de la préserver des invasions de cet intrus ; mais lui paraissait peu se soucier de cette élégante, soudain un énorme crachat vint tomber sur sa robe.
— Oh ! shocking, fit-elle en se levant, “I never saw a city like Montreal, no comfort can be had in the street cars.”
Tirant la sonnette elle fit arrêter le tramway et descendit en disant :
— It is really disgusting to see that the conductor can’t keep proper order in the cars.