Page:Bibaud - Méprise, 1908.djvu/6

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— Laissez-moi partir madame, fit Réal un peu impatienté.

— Attendez, monsieur, est-ce qu’on sait ousqu’on se place icite, donnez-moi le temps de me reconnaître. Je n’ai jamais vu de gens si peu complaisants.

— Certes, il en faut une bonne dose de complaisance pour vous porter avec votre bambin qui est un vrai petit diable ; est-ce qu’il ne va pas se taire cet enfant ?

— Cela ne vous regarde pas.

C’est vrai ; mais ce qui me regarde c’est de ne plus vous avoir sur les genoux avec lui.

Et Réal fait un suprême effort pour se débarrasser, je lui tends la main, grâce à ce secours il parvient à mettre à terre la robuste dame. D’un bond nous sommes sur la plate-forme.

— Ouf, fait mon ami, cela est pire qu’un bain turc. Vite, descendons, je n’y tiens plus. Tu ne m’y reprendras point, mon cher, à aller me promener dans ces tramways ; du moins pas avant que la Compagnie ne change de système. J’aime mieux marcher à l’autre bout de la ville que de recommencer pareille excursion.

On nous avait laissés à l’extrémité de la rue Sainte-Catherine Ouest ; en passant devant la demeure de Mme T… Réal se tourna vers moi.

— Sais-tu que Melle T… est une héritière, me dit-il, Raoul, tu devrais te présenter dans cette maison, mademoiselle T… serait un bon parti pour toi ; outre qu’elle est riche, elle est charmante, très spirituelle.

— Tu crois, mon cher Réal, que je n’aurais qu’à me présenter pour être accepté ? J’ai trop d’esprit, permets-moi de te le dire, pour avoir la prétention d’un grand nombre de mes camarades qui s’imaginent qu’ils n’auraient qu’à faire une demande en mariage pour être aussitôt agréés : leur fatuité me déplaît, j’ai la ferme conviction que celui qui se vante le plus est précisément celui qui serait le premier éconduit. Je ne trouve rien d’étonnant à ce qu’une femme refuse d’épouser un homme qu’elle n’aime pas. Le mariage pour moi est chose si grave que je conçois qu’une personne intelligente ne tienne pas à se lier pour la vie, à un être qui ne lui est pas