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l’état dans lequel il semble avoir vu la cathédrale de Reims. Il serait revenu pour prendre la direction des travaux de Saint-Quentin, et, grâce à l’expérience acquise et aux monuments étudiés en chemin, il aurait notablement perfectionné sa manière lorsqu’il entreprit cette dernière œuvre.

Mais de quelles influences et de quel enseignement procédait la première manière de Villard de Honnecourt ; à quelle occasion et dans quel but entreprit-il les voyages qui l’aidèrent à la perfectionner ? Ces points restent en grande partie à élucider, et je vais tenter de le faire dans une certaine mesure. Des recherches faites en Hongrie pourraient seules apporter un complément définitif à cette étude ; mais, sans aller aussi loin cette fois, je borne mon enquête à la patrie de Villard.

Honnecourt[1] est un gros village caché dans un repli de collines boisées ; dans le fond, près de la rivière, subsiste le narthex de l’église du prieuré de Cluny[2], qui a été le premier noyau du bourg. — Au pied du monument, on remarque une énorme cuve baptismale en grès, probablement du XIIe siècle[3], jetée à la voirie et remplie d’immondices. C’est sans doute dans cette vasque que Villard a reçu le baptême, mais nul à Honnecourt ne sait s’il a existé et n’a cure d’un tel souvenir.

Grâce aux Bénédictins, grâce à un sol fertile et grâce surtout à sa situation au bord de l’Escaut déjà aisément navigable, Honnecourt a toujours été prospère. L’Escaut fournissait avec Cambrai, Valenciennes, Tournai, Gand et Anvers une excellente voie de communication, d’autant plus fréquentée au moyen âge que les autres étaient plus défectueuses. Honnecourt était donc tout le contraire d’un pays misérable et perdu.

Quelles étaient les traditions artistiques de cette contrée ? Comme dans toute région qui sert de passage, elles se compli-

  1. Dép. du Nord, arr. de Cambrai.
  2. Sur cet établissement monastique, voir le mémoire de M. l’abbé Bulteau dans le Bulletin de la Commission historique du Nord, t. XVI, 1883, p. 1 à 111, et les 5 planches lithographiques qui l’illustrent.
  3. Ses vastes dimensions ne permettent guère de la considérer comme plus récente. Elle est en forme de tronc de cône, sans aucun ornement, et mesure 1m13 de diamètre extérieur, 0m89 de diamètre intérieur, 0m72 de haut. Sa simplicité rappelle plusieurs cuves du XIIe siècle du diocèse de Noyon et d’Amiens (Vermandovillers, Quesmy, Beaugies, Cambronne, Driencourt, Fransart). Ajoutons cependant que, pour les dimensions, la cuve baptismale de Beaufort-en-Santerre, qui n’est que du XIVe siècle, peut lui être comparée.