Page:Bibliothèque de l’École des chartes - 1895 - tome 56.djvu/157

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les brèves indications de Grégoire ou du pseudo-Frédégaire. Ces résultats négatifs ne figureront sans doute jamais dans les livres d’enseignement ; imagine-t-on un professeur de l’enseignement secondaire réduit à confesser que de Clovis on ne sait à peu près rien ? Mais vraiment il y aurait mauvaise grâce à rayer des programmes tant d’anecdotes amusantes et inoffensives, si fausses qu’elles puissent être ; les enfants n’ont pas besoin de leçons de scepticisme et l’histoire du vase de Soissons a tout au moins un avantage, celui de les distraire.

Le plan adopté par M. Kurth est le plus simple et le plus rationnel ; suivant l’ordre chronologique, il étudie siècle par siècle tous les faits historiques dont le récit lui a paru offrir traces de traditions populaires. Il prouve tout d’abord fort aisément, à l’aide du passage si souvent allégué du De moribus Germanorum et de quelques phrases de Jordanès, de Paul Diacre et de Widukind, que les Germains, comme la plupart des populations primitives, avaient des chants nationaux, des traditions populaires ; à ses yeux, le fameux prologue de la Loi salique est le plus ancien de ces chants. Il montre encore comment les différentes traditions rapportées par lui se rattachent par certains traits particuliers à l’ancienne mythologie germanique et se retrouvent dans le Folk-lore soit des races germaniques soit des autres populations primitives de l’Europe. Il rappelle encore fort justement ailleurs que dans Grégoire de Tours, dans le pseudo-Frédegaire, le style ou plutôt la forme extérieure du récit change toutes les fois qu’au lieu d’annales brèves mais exactes, ces auteurs prennent pour guides des traditions orales ; les détails pittoresques abondent et se multiplient, la narration devient plus imagée, plus longue, plus abondante. M. Kurth étudie ensuite les règnes de Clodion et de Mérovée, et montre sans peine que sur le premier de ces princes on ne possède que le texte célèbre de Sidoine, et que du second on ne sait, à vrai dire, rien de certain ; tout ce qu’on peut faire en bonne critique, c’est admettre l’existence même du chef éponyme de la première dynastie franque. Avec Childéric, on est, semble-t-il, sur un terrain plus solide ; à ce roi, Grégoire a consacré un chapitre tout entier, et l’Historia epitomata complète ce récit sommaire en l’enjolivant de mille circonstances. M. Kurth accepte sur ce point la théorie de Junghans ; ce récit vient de la tradition populaire et il est bien difficile d’y reconnaître les éléments historiques. Tout dans l’anecdote : fidélité des serviteurs, anneau rompu et servant de signe de reconnaissance, mariage de Basine, chacun de ces traits se retrouve partout dans les produits de l’imagination populaire. Quant au prétendu séjour de Childéric à Constantinople, à ses relations avec un empereur Maurice, M. Kurth y voit un souvenir confus de l’aventure du prétendant Gondovald, révolté contre le roi Gontran.

Le livre II (p. 211) est consacré à Clovis et aux fils de ce prince. Ici la récolte est encore plus riche, et, quand on a lu l’exposé de l’auteur,