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Page:Bigot - Nounlegos, 1919.djvu/2

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Nounlegos

caractères décelant, à n’en pas douter, une volonté peu commune ; la réponse verbale faite par l’inconnu augmentait la curiosité du juge de faire la connaissance d’un personnage qu’il prévoyait intéressant.

Fidèle à sa méthode, qui ne voulait laisser prise que le moins possible au hasard et à la surprise, il téléphona à son secrétaire de faire immédiatement des recherches sur un certain Nounlegos et de le tenir de suite au courant.

Il savait que tous les Bottins et Annuaires divers, toutes les collections de fiches du parquet et de la Préfecture de police allaient être consultés et que, dans un moment, il aurait quelques indications sur le visiteur.

Puis, sa pensée allant de celui-ci à l’objet de sa visite, il s’absorba à se remémorer les détails de cette fameuse affaire Charfland.

Ah oui, fameuse et menaçant même d’être, pour lui, fâcheuse !

En plein Paris, dans une pension de famille de premier ordre, un milliardaire américain, A.-H. Terrick, sa femme, ses deux enfants, leur gouvernante avaient été assassinés par l’injection d’un poison violent que les experts n’avaient pu complètement définir.

La veille de la découverte du crime, un grand établissement financier, l’Universel Crédit, avait payé en espèces, à un nommé Jeo Helly, un chèque de dix millions de francs signé de A.-H. Terrick qui en avait prévenu la banque. Or, il avait été impossible de retrouver les traces de ce Jeo Helly dont le signalement avait été facilement reconstitué, vu la curiosité inspirée par le bénéficiaire d’une somme aussi forte versée d’un seul coup.

Sur le lieu du crime aucune trace de lutte, aucune trace d’effraction n’avaient été relevées, aucun vol n’avait été commis.

Chargé de l’instruction de cette affaire, M. de Landré en avait été très satisfait ; elle s’annonçait comme sensationnelle, étant donné le nombre des victimes, leur notoriété en Amérique, les dix millions enlevés par l’insaisissable Jeo Helly et le mystère général qui planait sur l’ensemble.

Juge intègre, très travailleur, d’un réel talent, M. de Landré espérait, en menant à bien l’instruction d’une cause aussi importante, arriver au fauteuil que son ambition professionnelle s’était donné comme terme.

Naturellement, en premier lieu, il avait interrogé les personnes habitant la pension de famille, lieu du crime ; elles n’étaient que trois : la propriétaire, une bonne et un voyageur.

De cette première enquête, il résultait ceci : un mois avant l’événement, la propriétaire, Mme Durand, personne très honorable, veuve d’un ancien fonctionnaire, avait reçu de New-York un câble signé « Charfland », demandant qu’une chambre lui soit retenue pour tel jour ; un mandat télégraphique de 500 francs était joint. Ce client qui s’annonçait ainsi était inconnu de Mme Durand, mais comme sa clientèle, exclusivement composée d’Américains, ne manquait pas de recommander sa maison, elle n’en fut pas étonnée ; elle en fut même enchantée, aucun voyageur n’occupant à ce moment le grand et bel appartement luxueusement meublé qui composait toute son installation ; le message étant accompagné d’un coupon-réponse, elle avait câblé qu’une chambre était réservée.

Deux jours plus tard, un autre télégramme, émanant également de New-York, retenait tout l’appartement ; il était signé A.-H. Terrick ; celui-ci était connu de Mme Durand. Presque chaque année, il venait passer environ deux mois à Paris avec sa femme et ses deux fillettes ; aux grands caravansérails que sont les hôtels modernes, cet Américain, homme de goût et discret, préférait l’élégant appartement meublé qu’entretenait fort bien Mme Durand et essayait chaque fois de retenir pour sa seule famille l’appartement tout entier qu’il payait 5 000 francs par mois.

Malgré cette bonne aubaine, la propriétaire n’avait pu se dégager de son engagement antérieur : aussi, à l’arrivée de la famille Terrick, avait-elle eu soin de s’excuser de ne pouvoir mettre à sa disposition l’une des chambres, occupée deux jours avant, mais retenue depuis quelque temps, par un M. Charfland.

D’ailleurs, la position de cette chambre laissait toute liberté aux occupants du reste de l’appartement.

Celui-ci était en bordure sur une large avenue et sur une rue, avec un pan coupé au coin des deux voies.

En entrant, une vaste galerie communiquait, à gauche, avec deux petites pièces, dont l’une sans fenêtres, que s’était réservée Mme Durand, puis avec la belle salle à manger ; l’une des pièces réservées et la salle à manger bordaient la rue ; à droite de la galerie, deux chambres donnaient sur la cour. Au fond de la galerie à gauche, une double porte oblique s’ouvrait sur le grand salon, dont les baies faisaient face sur la rue, sur le pan coupé et sur l’avenue.

Un couloir, à angle droit par rapport à la galerie, desservait, sur la gauche, un petit salon et quatre chambres en façade sur l’avenue et, sur la droite, une grande penderie, une salle de bains, des W. C., une cuisine, puis une petite pièce réservée à Thérèse Vila, servante de Mme Durand.