Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/291

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de ce fait sans m’en apercevoir ; j’ai donné à chacune de mes fillettes environ 150 mots pour lesquels il fallait décrire les phénomènes subtils d’idéation ; dès le début, Marguerite se montrait embarrassée, ennuyée, ou bien elle ne répondait pas exactement à mes questions, ou bien elle faisait une réponse très brève ; elle qui est si abondante en détails quand il s’agit de décrire un objet qu’elle a sous les yeux, a tout de suite fini quand on lui demande de décrire un état de conscience. L’introspection l’ennuie ; et si on prolonge un peu l’examen, elle se désole de ne pas pouvoir répondre. En relisant des notes prises il y a deux ans, j’y trouve la trace de cet état d’inquiétude et d’énervement, qui se produit presque toujours chez Marguerite lorsqu’on lui demande de l’introspection ; d’abord je mettais cet embarras sur le compte d’un caprice, d’une disposition particulière au moment ; mais je suis bien obligé maintenant d’admettre que Marguerite a peu d’aptitude à l’introspection ; elle est donc toute observation extérieure, tandis que chez Armande il existe vraisemblablement une vie intérieure beaucoup plus intense.

Ainsi, nous devons ajouter un nouveau trait au portrait que nous avons fait des deux sœurs ; nous avons dit que la première appartient à la catégorie des imaginatifs. Il existe plusieurs types d’imaginatif : tous ne sont pas nécessairement développés dans le sens de la vie intérieure ; on peut être un imaginatif à imagination pittoresque, comme Victor Hugo, et Théophile Gautier, ou un imaginatif de la vie intime et émotionnelle, comme Sully-Prudhomme ; il semble qu’Armande appartienne à cette dernière catégorie.

Des documents plus précis vont nous permettre de préciser ce contraste.

Jetons un coup d’œil sur les 300 mots écrits au hasard de la pensée par Marguerite et par Armande. Presque tous les mots écrits par Marguerite sont des noms d’objets