Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/75

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d’extérieur à notre pensée, dans ce processus, en employant cette formule pour expliquer la revivescence des idées « Une image émerge quand elle a déjà commencé à émerger[1]. »

Par là, Taine restait fidèle à sa belle théorie de l’Intelligence, si semblable à un mécanisme d’horlogerie, où rien ne représente l’effort, la direction, l’adaptation, le choix, où l’attention elle-même est réduite à une intensité d’image. Je ne puis pas traiter ici la question avec l’ampleur qu’elle mériterait ; je veux seulement montrer en passant que l’existence des thèmes de pensée est inexplicable par l’automatisme des associations ; car, d’une part, il arrive, dans les séries de Marguerite, que la transition entre deux mots, bien que se faisant par une association d’idées consciente, n’empêche pas que le sujet constate qu’il y a eu à cet endroit un changement d’idée, c’est-à-dire apparition d’un thème nouveau, fait que l’association n’explique pas ; et, d’autre part, quand les mots sont inspirés par un même thème, ils ne peuvent pas être donnés par le jeu tout simple des associations d’idées ; pour qu’un thème se développe, il faut une appropriation des idées, un travail de choix, et de rejet qui dépasse de beaucoup les ressources de l’association. Celle-ci n’est intelligente qui si elle est dirigée ; réduite à ses seules forces, elle utilise n’importe quelle ressemblance, n’importe quelle contiguïté ; elle ne peut donc produire que de l’incohérence et tout au plus pourrait-elle expliquer la succession de paroles d’un maniaque ou les images kaléidoscopiques de la rêverie[2].

  1. De l’Intelligence, I. p. 141. Il faut lire l’exemple de toute beauté, mais bien littéraire, qu’il développe pour illustrer cette explication.
  2. Il y a longtemps, du reste, que Paulhan a soutenu la même thèse. Voir son intéressant ouvrage sur l’Activité mentale et les éléments de l’esprit. Paris, 1889. Je ne fais point ici de bibliographie : et je renvoie au travail récent, si précis et si bien informé, de Claparède sur l’Association des idées. Paris, Doin, 1903.