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COMMENTAIRE HISTORIQUE

furent contraints de le renvoyer querir environ cinq ou six mois apres... » Ce témoignage, comme celui de Binet, repose à mon avis sur une interprétation abusive des vers de l’autobiographie : on ne saurait trop se défier de ces phrases enjolivées et emphatiques. Le témoignage de Velliard est encore plus suspect ; c’est un dithyrambe de trente lignes, mais en sens inverse : à l’en croire, Ronsard fut au collège de Navarre un élève modèle et y fit de tels progrès, y acquit une telle réputation sous l’influence de maîtres éminents, que cela lui valut d’être choisi par François Ier comme page de ses fils. Est-ce possible en six mois, et le poète ne dit-il pas lui-même le contraire ? — Critton me semble bien plus près de la vérité en quelques mots très simples : pour lui, les parents de Ronsard le retirèrent du collège « parce qu’ils jugèrent que ses progrès étaient insuffisants et qu’il était plus fait pour la cour que pour l’école, aulae quàm scholae aptior » (Laud. fun., p. 4).

Ne retenons des vers de Ronsard que ce qu’ils nous donnent, à savoir qu’il eut de la « peine » à suivre les leçons du régent de Vailly, et qu’il quitta le collège « sans rien profiter », ce qui va de soi puisqu’il ne passa là qu’un « demy an ». Ne nous extasions pas sur son « beau naturel » incapable de discipline. Non seulement son court passage à Navarre ne lui a laissé aucun mauvais souvenir (v. encore la préf. posthume de la Franciade, Bl., III, 23), mais il l’a rappelé au contraire avec complaisance pour se féliciter d’un événement qui lui a permis dès sa tendre jeunesse de connaître de près Charles de Guise, futur cardinal de Lorraine, futur favori de Diane de Poitiers et ministre de Henri II. (Cf. Rev. de la Renaiss. de mars 1901, pp. 171-73.)

P. 5, l. 13. — cinquiesme. S’il est vrai que Ronsard, comme il le dit, sortit du collège de Navarre à 9 ans 1/2, ce fut soit au printemps de 1534, soit au printemps de 1535. Or la rupture entre François Ier et Charles-Quint ne date que de juin 1536 ; et la Cour installée depuis quelque temps à Lyon, où elle formait comme l’arrière-garde des armées développées en éventail de Genève à Montpellier, ne fut à Valence que les premiers jours d’août, et à Avignon que dans la première quinzaine de septembre (Mémoires de Guillaume et Martin du Bellay ; Decrue de Stoutz, thèse sur Anne de Montmorency). Il y a là un intervalle d’un ou de deux ans, dont les biographes, à l’exemple de Binet, n’ont pas tenu compte. Gardons-nous de croire que Ronsard, sortant du collège, alla tout de suite « en Avignon » rejoindre son père, la Cour et l’armée. Rien n’est plus contraire aux faits et aux dates. L’erreur de Binet vient de ce que dans son autobiographie Ronsard passe sans transition de sa sortie du collège à son arrivée à Avignon :

Puis sans profiter du college sailly.
Je vins en Avignon, où la puissante armée
Du Roy François estoit fierement animée
Contre Charles d’Autriche


Binet, ignorant dans quelles circonstances et pour quelle fin Ronsard écrivit son autobiographie en 1554, n’a pas vu qu’il avait omis volontairement les années de sa jeunesse qui n’offraient rien de remarquable au panégyriste latin Pierre Paschal, et ne pouvaient servir à le glorifier