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ET CRITIQUE

eust appris la langue de la province ». Or, c’est substituer une erreur à une invraisemblance, car Ronsard ne resta que trois mois en Alsace, après quoi il revint à la Cour avec Laz. de Baïf. En admettant même — ce qui n’est pas du tout certain — que celui-ci eût prolongé de 25 jours son ambassade, comme semblerait l’indiquer un ordre de « remboursement » de 484 livres « à Laz. de Baïf ancien ambassadeur en Allemagne et en Roumanie » (c’est-à-dire dans le pays de Ferd. d’Autriche roi des Romains, comme l’a très bien montré L. Pinvert, op. cit., p. 75, note 5), ce qui reporterait la date de son retour du 14 août au 9 septembre 1540, il est matériellement impossible qu’en moins de quatre mois Ronsard, tout intelligent qu’il fût, ait réussi à savoir l’allemand, et surtout à le parler couramment, comme le dit Blanchemain, qui renchérit sur Binet et Du Perron (VIII, 9). Cela est d’autant plus douteux que l’allemand, aussi bien que l’anglais (v. ci-dessus, premier alinéa de la p. 75), était alors considéré comme une langue barbare indigne d’être apprise, et que l’échange des idées avec les Français se fit à Haguenau en latin.

Que Ronsard ait essayé de l’apprendre et qu’il en ait retenu les éléments avec quelques bribes de conversation, soit ; mais c’est tout ce qu’on peut tirer de ce vers :

En la haute Allemaigne où la langue j’apprins.


La preuve que ses biographes auraient dû plutôt en restreindre qu’en exagérer la portée, c’est que lui-même en changea ainsi la rédaction pour son édition ne varietur :

En la haute Allemaigne, où dessous luy [Baïf] j’apprins
Combien peut la vertu.


On peut suspecter l’authenticité de certaines variantes de cette édition (qui fut la première posthume), mais je ne vois pas quel intérêt Galland et Binet, ses exécuteurs testamentaires, auraient eu à changer ce texte de leur propre autorité. Je conçois très bien au contraire que Ronsard leur ait noté ce changement à faire, soit qu’il ait voulu rendre un suprême hommage à l’un de ses premiers bienfaiteurs, soit plutôt qu’il ait été pris d’une sorte de remords d’avoir jadis avancé, pour son panégyrique, une affirmation qui ne correspondait guère à la réalité.

P. 7, l. 8. — le poussoit. Sur Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, gouverneur de Turin en 1537, puis lieutenant général du Piémont en 1540, mort le 9 janvier 1543 à St-Saphorin près de Tarare, dans les collines du Lyonnais, voir V.-L. Bourrilly, Guillaume du Bellay, thèse de Paris, 1904.

J’ai montré dans la Rev. de la Renaiss. de janv. et de fév. 1902, que cette affirmation de Binet, reproduite par tous les biographes de Ronsard, n’est pas fondée :

1° De tous les hommes du xvie siècle qui nous ont parlé de Ronsard, Binet est le seul à mentionner ce voyage en Piémont. Sont restés muets à cet égard non seulement ses amis les poëtes J. du Bellay, Magny, Panjas, Belleau, J. Morel, qui, adressant des vers à Ronsard pendant ou après leur séjour au-delà des Alpes, auraient pu lui rappeler ce souvenir