Ou bien fait-il allusion, comme l’ont pensé Colletet, Blanchemain et Marty-Laveaux, à une palinodie écrite, imprimée en tête de la 2e édition des Amours (1553) sous le titre : Sonet de M. de S. G. en faveur de P. de Ronsard ? (Cf. le Ronsard de Blanchemain, I, xxvi ; le Saint-Gelais du même, II, 262.)
J’adopte cette seconde interprétation, bien que l’expression « chanter la palinodie » soit une expression toute faite, synonyme de « se rétracter », comme dans le passage de la lettre à Morel où L’Hospital écrit en parlant des adversaires de Ronsard : « Mihi videntur palinodiam canere. » Mais je ne suis plus de l’avis de Colletet, quand, après avoir cité le premier quatrain de ce sonnet :
D’un seul malheur se peut lamenter celle
En qui tout l’heur des astres est compris :
C’est, ô Ronsard, que tu ne sois espris
Premier que moy de sa vive estincelle…
il ajoute : « Et le reste qui justifie assez clairement que Mellin de
Saint-Gelais luy-mesme estoit aussy amoureux de Cassandre, et qu’ainsy
il n’estoit pas moins son rival en amour qu’en poésie. Et peut-estre
seroit-ce la raison qui obligea Ronsard de la quitter après l’avoir aimée
dix ans entiers. » (Vie de Rons., p. 60.) Cette opinion, qui a été prise au
sérieux et adoptée par Ménage (Observ. sur les poés de Malherbe, p. 553)
et Marty-Laveaux (Notice sur Ronsard, xxxv), est insoutenable, car en
1553 Saint-Gelais avait 62 ans, Ronsard 28. et d’ailleurs Cassandre
Salviati, mariée dès novembre 1546 à un châtelain du Vendômois,
n’était pour Ronsard qu’une maîtresse intellectuelle. Blanchemain, qui
avait d’abord suivi Colletet dans son éd. de Ronsard (VIII, 23), a eu
raison de s’en séparer dans son éd. de Saint-Gelais (II, 263), et de supposer
que dans cet obscur sonnet il s’agit de Madame Marguerite, sœur
de Henri II, protectrice commune des deux poètes, mais célébrée par
Saint-Gelais avant de l’avoir été par Ronsard.
Une dernière question. Dans les œuvres de Saint-Gelais, à partir de l’édition Coustelier, qui est de 1719, le dit sonnet est adressé à Clément Marot, et on lit au 3e vers :
C’est, ô Clément, que tu ne fus espris…
Faut-il en conclure, avec Blanchemain, ou que Saint-Gelais, réconcilié
seulement à la surface, a remplacé dans son sonnet avant de mourir le
nom de Ronsard par celui de Clément (éd. de Ronsard, VII, 24), ou
plutôt qu’il s’est contenté en 1553 d’adresser à Ronsard un vieux sonnet
primitivement écrit pour Marot (éd. de Saint-Gelais, I, 24, et II, 263) ?
La première de ces hypothèses (adoptée par Mlle Evers, op. cit., p. 166,
n. 5) me semble devoir être écartée, car la réconciliation fut très sincère
de la part du vieux poète, comme le prouve un sonnet de 1554, édité par
Blanchemain (éd. de Saint-Gelais, III, 112). La deuxième hypothèse
est plus plausible, car 1° du temps de Marot ce sonnet pouvait très bien
s’appliquer à Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, et en 1553
convenir encore à sa nièce, Madame Marguerite ; 2° Ronsard a fait
quelque chose d’analogue, précisément dans la seconde édition des
Amours, en ce qui concerne le sonnet qui commence ainsi :