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ET CRITIQUE

son temps, semble lui avoir interdit certaines allusions blessantes, car le poète supprima de ces Estrennes, en 1578, huit vers qui s’appliquaient trop bien aux mignons du roi et au roi lui-même (Bl., VII, 306).

P. 40, l. 26. — à l’Horatienne. C’est-à-dire des satires où l’indignation et la souriante ironie sont mêlées, à la façon de celles d’Horace.

C’est ainsi que Boileau dira plus tard ;

Horace à cette aigreur mêla son enjouement,


en se souvenant, ainsi que Binet, du début de la satire, du livre I, où Horace définit la satire telle qu’il la comprenait :

Et sermone opus est modo tristi, saepe jocoso…

L’opinion de la Pléiade fut plus favorable à la satire générale et adoucie d’Horace qu’à la satire personnelle et violente de Juvénal. Du Bellay a proposé le premier comme modèle à cause de son urbanité et de sa modération (Deffence, II, ch. iv). Ronsard de son côté adonné cette définition de la satire telle qu’il l’entendait, dans les Estrennes au Roy Henry III (Bl., III, 286) :

Il n’y a ny rheubarbe, agaric, ny racine *
Qui puisse mieux purger la malade poitrine
De quelque patient fiévreux ou furieux
Que fait une satyre un cerveau vicieux,
Pourveu qu’on la destrempe à la mode d’Horace,
Et non de Juvenal, qui trop aigrement passe.
Il faut la preparer si douce et si à point,
Qu’à l’heure qu’on l’avalle on ne la sente point,
Et que le mocqueur soit à mocquer si adestre.
Que le mocqué s’en rie, et ne pense pas l’estre.

P. 40, l. 38. — Prose en vers. Inspiré de deux passages de l’Abbregé de l’A. P., où Ronsard recommande à Delbene de « se donner garde sur tout d’estre plus versificateur que poëte ». « Car la fable et la fiction, dit-il, est le sujet des bons poëtes, qui ont esté depuis toute memoire recommandez de la posterité : et les vers sont seulement le but de l’ignorant versificateur, lequel pense avoir fait un grand chef d’œuvre quand il a composé beaucoup de carmes rimez, qui sentent tellement la prose que je suis esmerveillé comme nos François daignent imprimer telles drogueries, à la confusion des autheurs, et de nostre nation » ; et un peu plus loin : « Tu les feras donc les plus parfaits que tu pourras, et ne te contenteras point (comme la plus grand’part de ceux de nostre temps), qui pensent, comme j’ay dit, avoir accomply je ne sçay quoy de grand, quand ils ont rymé de la prose en vers. Tu as desja l’esprit assez bon pour descouvrir tels versificateurs par leurs miserables escrits… » (Bl., VII, 325 et 330.) — Ronsard fut « l’ennemy mortel des versificateurs » et méprisa « leur prose rimée » jusqu’à la fin de sa vie. Voir le Caprice à Simon Nicolas, écrit après juin 1584 (Bl., VI, 326), et surtout ce passage de la 3e préface de la Franciade, publiée seulement après sa mort : « Tous ceux qui escrivent en carmes, tant doctes puissent-ils estre, ne sont pas poëtes. Il y a autant de difference entre un poëte et un versificateur qu’entre un bidet et un genereux coursier de Naples… Ces versificateurs se contentent de faire