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DISCOURS DE LA VIE

changea ces vers[1] *. Ceux qui n’avoient occasion de le reprendre, s’ils n’accusoient[2] leur ignorance, avoient recours aux moqueries, faisans courir contre luy leurs Rondeaux et Dizains avec quelque froide poincte au dernier vers et n’y eust il rien de bon à tout le reste : mais[3] ces injures n’estoient dignes du courroux d’un tel Lyon[4]. Les autres, qui sembloient proceder avec plus de jugement, disoient que ses escrits estoient pleins de vanterie, d’obscurité et de nouveauté *, et le renvoioient bien loing avec ses Odes Pindariques, tournans le tout en risée[5] * : dont[6] est venu mesmes le proverbe, quand quelqu’un s’escoute parler et veut farder[7] et mignarder son langage, ou faire quelque chose de nouveau[8], de dire : Il veut Pindariser[9] *. Toutes lesquelles mesdisances il n’a point voulu celer luy mesmes en ses escrits, comme on peut voir au Sonet à Pontus de Tyard, qui commence :

Tyard, on me blasmoit à mon commencement,
Dequoy j’estois obscur,[10] *

  1. C il ne changea pas seulement ces vers qui se lisent aujourd’huy autrement, mais l’honora de titres et loüanges non communes par ses escrits, tesmoignages de sa naturelle candeur, l’appellant le premier des mieux appris.
  2. A s’il n’accusoient
  3. A reste, mais
  4. B Lion. | C avoient recours aux sornettes et mocqueries, lisans au Roy ses vers tronquez et les prononçants (sic) de mauvaise grace, mesmes les mots non communs, d’une ignorance et courtisane impudence *, et faisans courir contre luy leurs calomnieux et fades escrits. Tel fut jadis Bachilide à l’entour d’Hieron Roy de Sicile, tant noté par les vers de Pindare : Et tel encor fut l’envieux, sçavant toutefois, Callimaque, impatient qu’un autre flatast les oreilles de son Roy Ptolomée *. Mais ces injures n’estoient dignes du courroux d’un tel lyon, et pouvoit bien se vanter de la victoire, puis que ses ennemis, qui estoient tres-mal embastonnez, le combatoient si foiblement, et de coups qui ne faisoient sinon que couler sur le poly de sa gloire. Les autres
  5. C avec ses Odes Pindariques, Strophes et Antistrophes, tournans toutes choses en risée
  6. AC en risée, dont
  7. BC quand quelqu’un veut farder
  8. C son langage, ou escrire d’un stile obscur ou nouveau et non accoustumé, ou mesmes affecté,
  9. AB de dire. Il veut Pindariser
  10. B

    Ma Muse estait blasmée à mon commencement
    D’apparoistre trop haute au simple populaire.

    | C comme on peut voir en l’une de ses Odes, où il dit ainsi :

    Si dés mon enfance
    Le premier de France
    J’ay pindarisé :
    De telle entreprise
    Heureusement prise
    Je me voy prisé *.

    Aussi au Sonet à Pontus de Tyard, qui commence : (suit la citation de B)