Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/132

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qu’un même morceau de papier rouge soit vu rouge par l’œil droit, il faut qu’il présente une certaine surface, plus grande que celle qui est nécessaire pour donner la sensation de rouge à l’œil gauche ; avec une certaine dimension, le papier est vu rouge par l’œil gauche et gris par l’œil droit ; bref, par suite de l’anesthésie légère qu’il présente, l’œil droit a besoin d’une excitation plus forte pour sentir que s’il était sain ; l’anesthésie a pour effet de déplacer le minimum perceptible : en d’autres termes, elle agit comme si elle diminuait l’intensité de l’excitation.

Une seconde expérience, qu’on peut pratiquer sur le même sujet, corrobore la première ; si on adapte dans une paire de lunettes deux verres, l’un rouge, l’autre vert, qui vus chacun par un œil donnent l’impression complexe d’une succession irrégulière de rouge et de vert (c’est ce qu’on appelle la lutte des champs visuels), l’hystérique n’éprouve pas cette sensation ; il perçoit seulement la couleur du verre qu’on aura placé devant son œil gauche, c’est-à-dire devant l’œil le moins anesthésique : preuve évidente que dans la lutte des deux champs visuels, l’excitation reçue par l’œil gauche est la plus forte, puisqu’elle a constamment l’avantage.

Ce qu’on appelle le seuil de l’excitation n’est donc point chez l’hystérique une limite au-dessous de laquelle une excitation ne produit aucun effet psychologique ; les excitations inférieures à un certain minimum de conscience produisent des phénomènes de sous-conscience. C’est là un fait intéressant, qui jette quelques doutes sur une opinion généralement admise. On enseigne, en se fondant sur les expériences de psycho-physique, que la conscience qui accompagne les excitations des sens n’est point continue, mais discontinue ; si, par artifice, dit-on, on arrive à diminuer graduellement, et d’une manière très lente, l’intensité d’une excitation donnée, par exemple, le son d’un timbre, on atteint un certain degré d’excitation où la conscience est complètement supprimée ; au delà de ce point, c’est le néant mental : plus rien n’est senti ni perçu pour la