Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/192

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sensibilité d’une région quelconque, chez un sujet hystérique, puis de cacher au sujet la vue de cette région par un écran pour lui faire ignorer complètement tous les phénomènes qu’on provoque dans des parties insensibles de son corps. Ce n’est là, avouons-le, qu’une situation idéale ; il faudrait que la division de conscience fût bien parfaite, tout à fait schématique, pour que le moi normal du sujet ne perçût absolument rien de ce qui se passe dans une partie de son organisme. Si nous avons fait cette supposition, tout en la sachant erronée, c’est parce qu’il faut mettre de l’ordre dans la description des faits ; nous ne pouvons pas décrire à la fois la division de conscience, et les influences réciproques de deux consciences distinctes, qui rendent la division moins parfaite. Nous allons maintenant revenir sur nos premières descriptions, et y ajouter quelques traits, afin de les rendre plus fidèles.

Ce qui est tout à fait exact, au moins d’après ce que j’ai observé, c’est que le sujet ne perçoit pas les excitations qu’on applique sur une région insensible ; il ne les perçoit pas avec leur forme réelle, et ne les localise pas au point excité. Si on lui pique la paume de la main avec une épingle, il ne rapporte pas à cet endroit une sensation de piqûre ; du reste, s’il le faisait, il cesserait par là même d’être anesthésique. Les sensations provoquées dans les régions anesthésiques restent donc inconscientes ; mais elles produisent d’autres phénomènes, qui pénètrent dans la conscience normale ; ce sont des idées, des images, et parfois des perceptions fausses, des hallucinations. Ainsi, le sujet ne perçoit pas l’excitation, mais il peut avoir l’idée de cette excitation, sans savoir bien entendu pourquoi et comment cette idée lui est venue.

Voici une expérience qui permettra de saisir ce curieux effet mieux qu’une longue description. Nous prenons la main insensible, nous la plaçons derrière l’écran, et nous la piquons neuf fois avec une épingle ; pendant ce temps, ou après avoir cessé les piqûres, nous demandons au sujet de penser à un chiffre quelconque et de nous le