Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/249

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revenir encore sur l’histoire de ce malade, que nous avons longuement racontée dans la première partie de ce livre, nous emprunterons à MM. Bourru et Burot l’histoire d’un autre sujet, Jeanne R…, sur laquelle ils ont pu refaire des expériences analogues.

« Jeanne R…, âgée de vingt-quatre ans, est une jeune fille très nerveuse, et profondément anémique. Elle est sujette à des crises de pleurs et de sanglots ; pas de crises convulsives, mais de fréquents évanouissements ; elle est facilement hypnotisable ; elle dort d’un sommeil profond et à son réveil elle a de l’amnésie.

« On lui dit de se réveiller à l’âge de six ans. Elle se trouve chez ses parents ; on est au moment de la veillée, on pèle des châtaignes. Elle a envie de dormir et demande à se coucher ; elle appelle son frère André pour qu’il l’aide à finir sa besogne ; mais André s’amuse à faire des petites maisons avec des châtaignes au lieu de travailler : « Il est bien fainéant, il s’amuse à en peler dix, et moi il faut que je pèle le reste. »

« Dans cet état, elle parle le patois limousin, ne sait pas lire, connaît à peine l’A B C. Elle ne sait pas parler un mot de français. Sa petite sœur Louise ne veut pas dormir : « Il faut toujours, dit-elle, dandiner ma sœur qui a neuf mois. » Elle a une attitude d’enfant.

« Après lui avoir mis la main sur le front, on lui dit que dans deux minutes elle se retrouvera à l’âge de dix ans. Sa physionomie est toute différente ; son attitude n’est plus la même. Elle se trouve aux Fraiss, au château de la famille des Moustiers, près duquel elle habitait. Elle voit des tableaux et elle les admire. Elle demande où sont les sœurs qui l’ont accompagnée, elle va voir si elles viennent sur la route. Elle parle comme un enfant qui apprend à parler ; elle va, dit-elle, en classe chez les sœurs depuis deux ans, mais elle est restée bien longtemps sans y aller ; sa mère étant souvent malade, on l’obligeait à garder ses frères et ses sœurs. Elle commence à écrire depuis six mois, elle se rappelle une dictée qu’elle a donnée