Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/280

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donnait par exemple la suggestion qu’une personne présente était une autre personne ; alors le sujet voyait la personne fictive, avec les traits et le costume qu’il lui connaissait, et en même temps il ne voyait pas la personne réellement présente ; l’hallucination faisait office d’écran, qu’on nous passe cette comparaison grossière, et rendait invisible un objet réel. Mais dans d’autres circonstances, l’expérimentateur s’est efforcé directement de produire une anesthésie systématique. On a dû songer à expliquer un phénomène aussi bizarre que l’abolition d’un objet présent. Mais les premières explications qu’on en a trouvées sont bien naïves. Teste dit que c’est le « fluide magnétique, vapeur inerte, opaque et blanchâtre séjournant comme un brouillard où la main le dépose, qui cache les objets à la somnambule ». Charpignon prétend de son côté qu’il a pu rendre un objet invisible en l’entourant d’une couche épaisse de fluide. On n’a pas grand’chose à tirer de ces théories-là. Du reste, elles n’étaient pas communes à tous les magnétiseurs. Bertrand déjà avait bien compris l’influence de la suggestion, de l’idée imposée au somnambule. C’est sur cette action d’une pensée que Braid, Durand (de Gros) et Liébeault insistèrent aussi. « L’impression suggérée, dit Braid, s’est à tel point emparée de l’esprit du patient que l’on peut, sous son influence, suspendre les fonctions de la vue, la rendre aveugle pour un objet placé devant lui[1]… »

C’était déjà beaucoup de comprendre la cause véritable de ce phénomène, et de le rapporter à la suggestion ; mais nous devons cependant reconnaître que cette explication n’est que partielle, et reste en chemin. C’est ici le moment de répéter ce que nous avons dit plus haut au sujet des hallucinations à point de repère ; l’expérimentateur, en se servant du procédé de la suggestion, indique à l’hypnotisé le but à atteindre, mais il ne lui fournit pas les moyens d’y arriver ; la théorie de la suggestion ne nous renseigne pas

  1. Neurypnologie, p. 247.