Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/290

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« X… a soif, X… a faim, X… veut se promener. » Le sujet paraît ne rien entendre, mais au bout de quelques minutes, il exécute l’acte indiqué ; il l’exécute sans avoir conscience de ce qu’il fait, en tout cas sans en garder le souvenir ; car si quelqu’un des assistants lui demande ce qu’il a fait, il ne peut pas en rendre compte. Si nous rappelons ces phénomènes d’inconscience, ce n’est pas qu’ils présentent pour nous quelque chose d’intéressant ou de bien nouveau ; l’important est de voir qu’un expérimentateur non prévenu arrive exactement au même résultat que d’autres. M. Liégeois, interprétant ses expériences, dit : « Ceci montre que pendant l’hallucination négative le sujet voit ce qu’il paraît ne pas voir et entend ce qu’il paraît ne pas entendre. Il y a en lui deux personnalités ; un Moi inconscient qui voit et qui entend, et un Moi conscient qui ne voit pas et n’entend pas[1]… » Je pense inutile d’insister. Je ne suis pas le premier à constater l’intérêt de cette coïncidence ; elle a déjà frappé un grand nombre de personnes, même celles qui sont étrangères à ces études. Je me contente de citer in extenso une des expériences de M. Liégeois.

« Je n’existe plus pour Mme M…, à qui M. Liébeault a, sur ma demande, suggéré que, une fois éveillée, elle ne me verra, ni ne m’entendra plus. Je lui adresse la parole, elle ne me répond pas ; je me place devant elle, elle ne me voit pas ; je la pique avec une épingle, elle ne ressent aucune douleur ; on lui demande où je suis, elle dit qu’elle l’ignore, que sans doute je suis parti, etc.

« J’imagine alors de faire à haute voix des suggestions à cette personne, à qui je semble être devenu totalement étranger, et, chose singulière, elle obéit à ces suggestions.

« Je lui dis de se lever, elle se lève ; de s’asseoir, elle s’assied ; de tourner ses mains l’une autour de l’autre, elle les tourne.

« Je lui suggère un mal de dents, et elle a mal aux dents ; un éternuement, et elle éternue ; je dis qu’elle a froid, et

  1. De la suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec la jurisprudence, etc., 1889, p. 701 à 711.