Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/70

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Interrogeant : « Qu’est-ce ? un vaudeville ?… » Puis comme s’il critiquait la pièce : « Voilà la scène à faire, comme dit Sarcey… ; le dialogue est mou… »

« En frappant sur un aimant, on produit comme le son d’une cloche. Le malade imitant le ton des employés : « Château-Chillon !… Vevey !… Embarquez ! » Puis changeant de ton, comme s’il s’adressait à un des employés qui le presse : « On y va…, on embarque… ; nous n’allons pas faire de plongeon, au moins ?… »

« En frappant sur une table avec les doigts, on imite le bruit du tambour. Le malade, se parlant à lui-même avec tristesse : « C’est une parade d’exécution…, on va le dégrader, le pauvre malheureux…, il ira aux compagnies de discipline…, tandis que l’espion de Nancy s’en tirera avec cinq ans de prison… Cet homme, qui représente le commissaire du gouvernement, manque de majesté… »

« Comme on le voit, les conceptions délirantes portent au suprême degré le cachet de la personnalité du malade. C’est un journaliste, un « gendelettres », sans fortune, vivant tant bien que mal de sa plume. Il ne parle que de reportage, de théâtre, de misère d’écrivain à la tâche. Voilà pour le côté professionnel. Pour ce qui est du caractère, il ne se dément pas non plus : il est sceptique, désillusionné, et toutes ses idées délirantes sont marquées à ce sceau-là. Dans la suite, de nouvelles scènes s’ajoutèrent. Au bout de quelque temps de séjour à la Salpêtrière, après avoir observé choses et gens autour de lui, il parlait souvent, dans son délire, de l’hôpital, des malades, des médecins, toujours avec cette note sceptique et désillusionnée.

« Quelques jours après son entrée à l’hospice, le malade, qui observait avec intérêt tout ce qui se passait autour de lui dans la maison, avait manifesté à plusieurs reprises l’intention d’écrire quelque chose, une nouvelle, un petit roman sur la Salpêtrière. Profitant d’un moment où il était dans sa crise délirante, nous attirons son attention sur ce sujet en lui criant aux oreilles à diverses reprises : « La Salpêtrière ! » et en plaçant devant lui une plume, de l’encre