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Page:Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises.pdf/246

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cette délicieuse époque de l’année. Sa vue se portait au loin, puis revenait : elle regardait doucement, elle par¬ lait doucement ; elle trouvait une sorte de volupté à essayer sa vie et ses facultés. A demi couchée sur l’é¬ paule de mon père, qui la soutenait dans ses bras, elle l’écoutait lui dire à demi voix tous les projets qu’il for¬ mait pour qu’elle passât un été qui la dédommageât de tout ce qu’elle venait de souffrir. Ils devaient aller à Bagnères. Tout à coup il la sent trembler violemment : elle pousse un cri, et d’une main saisissant le bras de mon père, de l’autre elle lui montre un enfant qu’une nourrice porte sur ses bras ; elle ne le connaît pas, elle ne sait pas si c’est le sien ; mais toute son âme a été frap¬ pée, elle ne peut que dire : « Charles! mon enfant! J’ai un enfant, n’est-ce pas? Où est-il, mon enfant? Est-ce lui ?» Et elle montrait d’une main tremblante la nour¬ rice qui s’éloignait.

a Mon frère m’a souvent raconté cette scène ; il avait seize ans alors, il était mon parrain, et me portait déjà cette tendresse active qui a fait retrouver en lui un père à l’orpheline. Q me disait que rien ne peut peindre le délire de joie de ma mère en embrassant un bel enfant de cinq mois, frais, bien portant, plein de vie, la re¬ gardant avec un œil de feu et lui faisant seulement le

chagrin de la repousser et de tendre les bras à son père. Comme le cœur est insatiable ! Il n’y avait pas une heure que ma mère avait retrouvé sa fille, et déjà elle pleurait à sanglots de ce que je la repoussais pour aller avec mon père. Elle ne raisonnait pas ce mouvement tout naturel en moi : elle était la plus tendre, la plus pas¬ sionnée des mères ; accoutumée à donner ses soins à ses enfants, à recevoir leurs caresses, son cœur ressentait avec amertume le contre-coup du petit bras blanc et po¬ telé qui la tapait très fortement pour aller s’accrocher