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délices, fut-elle toujours pour elle une source inaltérable ; et, en avançant vers la fin, ne devint-elle pas, elle, raison si forte’ et si sure, une âme douloureuse aussi ? Sa santé altérée ; au milieu de tant d’accords profonds et vertueux, le désaccord enfin prononcé des âges ; ses vœux secrets (une fois sa fin entrevue) pour le bonheur du fils et de l’époux, avec une autre qu’elle, avec une autre elle-même ; il y eut là sans doute de quoi attendrir et passionner sa situation dernière plus qu’elle ne l’aurait osé concevoir autrefois pour lès années de sa jeunesse. Son rajeunissement exquis d’impression se développait en mille sens et se portait sur toutes choses. Elle n’avait guère jamais voyagé, à part quelque tournée en Languedoc et dans le Midi, où M. Guizot l’avait conduite en 1814 ; elle n’avait que peu habité et peu vu la campagne ; mais elle en jouissait dans ses dernières saisons, comme quelqu’un qui, forcé de vivre aux bougies, n’aurait aimé que la verdure et les champs. Le moindre petit arbre de Passy et du bois de Boulogne lui causait une fraîcheur d’émotion vivifiante.

Elle n’a pourtant jamais décrit la nature. De tout temps elle a moins songé à décrire, à peindre ce qu’elle sentait, qu’à exprimer ce qu’elle pensait. Elle n’aimait pas l’art avant tout, et voyait le fond plutôt que la forme, préférant la pensée moderne à la beauté antique. Son idée ingénieuse, et trop vraie peut-être, était même que la sensibilité ne passe si bien dans les œuvres de l’art qu’en se détournant un peu de la vie. Je lis dans un morceau d’elle (17 juillet 1810) : a Notre flambeau s’allume au feu du sentiment, a dit le poëte de la Métromanie, et je crois bien qu’on peut en effet regarder la sensibilité comme l’aliment de la poésie ; mais c’est lorsqu’elle n’est pas employée à autre chose, et que, tout entière au service du poëte, elle sert à éveiller son ima-