Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rons sans que ceux-ci eussent reçu l’avis de son approche[1]. Quelques prisonniers, frappés de terreur, lui indiquèrent la retraite d’Ambiorix, et il s’y rendit aussitôt avec ses cavaliers les plus habiles. Le roi perdit ses chevaux, ses chars, tout son attirail de guerre ; mais il échappa lui-même à la rage de ses ennemis ; ses compagnons s’étaient dévoués pour le sauver. Postés dans un défilé, tombant les uns après les autres, ils avaient soutenu pendant quelque temps le choc de la cavalerie romaine, afin de laisser à leur chef le temps de prendre un cheval et de s’enfuir à travers les bois, dont il connaissait tous les passages.

Quelques jours plus tard, César lui-même se présenta sur la scène pour procéder à l’extermination de cette « race de brigands[2]. » Un long cri de désespoir retentit dans toutes les bourgades, lorsqu’Ambiorix, convaincu de l’impossibilité de toute résistance sérieuse, fit savoir que chacun avait à pourvoir à son salut personnel. Cativulcus, chargeant son collègue d’imprécations terribles, parce qu’il voyait en lui la cause de l’extermination de son peuple, s’empoisonna avec le suc de l’if[3]. Quelques milliers d’infortunés cherchèrent un refuge dans les marécages situés entre la Meuse et le Wahal ; d’autres se sauvèrent jusqu’au rivage de l’Océan et pénétrèrent dans les îles presque désertes de la Zélande ; d’autres encore, cachés dans les bois et dans les marais de leur patrie, espéraient se dérober à la poursuite des Romains. César sut déjouer toutes ces tentatives ! Il se fit livrer par les peuplades voisines tous les Éburons qui s’étaient réfugiés sur leur territoire ; puis, divisant son armée en trois corps, il leur donna l’ordre de parcourir et de ravager le pays dans toutes les directions. Femmes, enfants, vieillards, tout ce qui tombait sous la main des légionnaires était impitoyablement massacré. Ce n’est pas tout : afin d’anéantir « jusque dans sa racine et dans son nom une nation si criminelle (ut, pro tali facinore, stirps ac nomen civitatis tollatur), » César engagea les peuples voisins à venir piller le territoire des Éburons et à s’enrichir de leurs dépouilles. Des nuées de pillards répondirent à cet appel. Enflammés par l’espoir du butin, ils se firent les auxiliaires de la vengeance romaine, et l’œuvre d’extermination fut impitoyablement consommée. « Le petit nombre de ceux qui nous échappèrent, dit César, dut mourir de faim et de misère, après le départ de l’armée[4]. » Les Éburons qui réussirent à passer le Rhin purent seuls se soustraire à l’exécution de cet arrêt de mort prononcé contre tout un peuple.

Il n’est pas nécessaire d’ajouter que les Romains, au milieu de ces scènes de sang, d’incendie et de pillage, avaient surtout cherché à s’emparer de la personne d’Ambiorix. Poursuivi, traqué sans relâche, il fut plus d’une fois aperçu par leurs cavaliers ; mais toujours le dévouement de son peuple, et, plus encore, sa connaissance exacte des lieux, le dérobèrent à leur atteinte. Il est probable qu’il réussit à passer le Rhin et à trouver un asile dans les libres forêts de la Germanie. La dernière fois qu’il se montra à la vue des Romains, il n’avait plus qu’une escorte de quatre cavaliers. Mais la vengeance de César n’était pas encore complétement assouvie ! Deux ans plus tard, le bruit s’étant répandu que quelques centaines d’Éburons étaient revenus dans leur pays, et qu’Ambiorix vivait au milieu d’eux, il se porta de nouveau sur ce territoire déjà si impitoyablement ravagé. « Désespérant de réduire en son pouvoir cet ennemi fugitif et tremblant, » dit le continuateur de ses Commentaires, « il crut, dans l’intérêt de son honneur, devoir détruire si bien, dans les États de ce prince, les citoyens, les édifices, les bestiaux, que, désormais en hor-

  1. La forêt des Ardennes s’étendait alors depuis les rives du Rhin et le pays des Tréviriens jusqu’au territoire des Nerviens. (Comm., l. VI, c. XXIX.)
  2. César n’a pas honte d’employer ces termes. (Comm., l. VI, c. XXXIV.)
  3. Contrairement à l’assertion de César, Amédée Thierry (Histoire des Gaulois, 2e part., c. VII) prétend que l’homme maudit par Cativulcus était, non Ambiorix, mais César lui-même. Cette interprétation est purement arbitraire. Cativulcus, ayant toujours été opposé à la guerre avec les Romains, pouvait très-bien maudire l’homme qui, malgré son avis, avait entraîné son peuple dans une lutte désastreuse.
  4. Comm., l. VI, c. XLIII.