Isabelle, après avoir pris l’avis de ses ministres, résolut d’envoyer aux états copie de la lettre qu’elle venait de recevoir du comte De Bergh et de son manifeste : « Par ces pièces, leur écrivit-elle, vous pourrez facilement cognoistre les mauvais desseings qu’il doibt avoir de longtemps tenuz caches et maintenant fait à un coup esclore en la conjuncture présente des affaires et du siége que les rebelles ont osé mettre devant la ville de Maestricht : ce qu’ils n’eussent vraisemblablement présumé d’attenter, s’ils n’eussent été asseurez que ledict comte les seconderoit, ensuyte des traictez et trames qu’ilz doibvent avoir eues avecq luy ou les siens. » Elle leur déclarait qu’elle n’en concevait aucune crainte et n’en avait aucune arrière-pensée, bien convaincue qu’ils demeureraient fermes dans leur obéissance au roi comme dans leur attachement à la religion catholique, et « qu’ils se trouveroient plus asseurez dans une vraie et stable union avec leur prince légitime et naturel, qu’en la paix, en apparence spécieuse, mais en soy trompeuse, que ledict comte leur vouloit faire espérer[1]. »
L’événement prouva qu’en offrant, à la Haye, de faire révolter l’armée et le peuple des Pays-Bas, De Bergh et Warfusée avaient trop présumé d’eux et de leur influence. Pas un régiment, pas une compagnie, ne répondit à l’appel du premier, et la nation, quoiqu’elle eût bien des motifs de ne pas aimer le gouvernement espagnol, se montra peu disposée à suivre dans leur rébellion des hommes dont la cupidité et l’ambition étaient les seuls mobiles. Tous les corps d’états répondirent à la lettre de l’infante en exprimant leur indignation de la conduite du comte De Bergh, et en protestant que le roi pouvait compter sur leurs sentiments de fidélité.
L’infante n’avait pas attendu ces réponses pour ordonner au procureur général près le grand conseil de Malines de poursuivre l’auteur du manifeste du 18 juin : le 5 juillet, cette cour souveraine décréta De Bergh d’ajournement et de prise de corps. Le conseil d’Espagne était d’avis que, le comte étant une fois déclaré traitre, on machinât sa mort par quelque moyen que ce fût[2]. Lorsqu’on examina, à Bruxelles, s’il convenait de mettre sa tête à prix, le conseil privé se prononça contre « cette démonstration extraordinaire, d’autant qu’elle n’avoit esté pratiquée de longtemps et ne se pratiquoit encore, outre que, comme ledict comte s’en aigriroit davantage, il se pourroit porter à user du mesme moyen contre tel qu’il voudroit choisir du pays[3]. »
Cependant Henri de Bergh avait dû s’éloigner de Liége, l’infante ayant fait sentir au conseil privé du prince, aux trois états, aux échevins et aux bourgmestres que la résidence en leur ville d’un homme qui fomentait la rébellion dans les États du roi d’Espagne était incompatible avec la neutralité que les traités leur imposaient[4]. Il se retira à Aix-la-Chapelle, d’où il se rendit à sa terre de Montfort ; sa suite était peu nombreuse. Ce fut à Montfort qu’il apprit les poursuites intentées contre lui. Il écrivit à l’infante, pour la supplier de ne prendre aucune résolution préjudiciable à sa réputation avant qu’il eût pu répondre sur les points dont on le chargeait, car il ne croyait avoir rien fait contre le service du roi et de Son Altesse, son manifeste n’ayant eu d’autre but que de donner à entendre aux états les moyens qui leur étaient offerts de parvenir à une bonne paix. « Si, ce nonobstant, ajoutait-il, l’on voudroit procéder contre moi par voye de rigeur, sans prendre regard à ce que dessus et aux fidels services que, depuis quarante ans en çà, je ay rendu à la couronne de Espangne, je prie Vostre Altèze Sérénissime, avecq toute submission possible, vouloir estre servie de ne prendre de mauvaise part que je seray contrainct, en tel cas, de me retirer en des places là où que ma personne pourrat estre asseurée, car jusques