Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/169

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les frais de sa vaste entreprise, il eut maille à partir avec ses imprimeurs, ses graveurs et ses relieurs, traita tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, et en fin de compte laissa à chacun une partie de sa publication en payement de ce qu’il devait. Tantôt ses livres et jusqu’à ses documents (qui pourtant ne lui appartenaient pas) étaient vendus à l’encan, tantôt les états lui réclamaient le remboursement de leurs avances, montant à plus de cinq mille florins. Dans de telles conjonctures, il lui fut fort ditticile de fournir des exemplaires complets aux derniers souscripteurs. Ces tiraillements firent scandale, et d’autant plus que la critique ne tarda pas à adresser au père Bertholet des reproches d’un autre genre. D. Calmet fait remarquer que les dissertations insérées au tome Ier de l’Histoire du Luxembourg ne sont guère que des abrégés du père Wiltheim, dont les études sur le Luxembourg ancien étaient conservées en manuscrit, au xviiie siècle, dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Maximin lez-Trêves[1]. Le fait est que Bertholet a suivi de près, de trop près même, ce savant et ingénieux écrivain, par exemple quand il admet sans examen des conjectures hasardées, telles que la confusion du Carosgau du moyen âge avec le pays des Ceræsi, l’interprétation de Titelsberg par Titi Mons, etc.[2] ; mais si la sagacité de notre auteur est plus ou moins sujette à caution, est-il cependant si coupable de s’être fié à un érudit qui jouissait alors d’une grande autorité, et faut-il lui faire un crime d’avoir largement puisé à une source qu’il ne pouvait impunément négliger[3] ? L’autre accusation est plus sérieuse, bien qu’elle infirme plutôt le mérite de l’auteur que celui de l’ouvrage. L’abbé Michel Simon, dit Calen ou Kalen (du nom de sa maison paternelle), rédigea contre l’Histoire du Luxembourg un pamphlet assez médiocre, où étaient cependant relevées un assez grand nombre de fautes échappées à Bertholet[4]. Il y était dit, en outre, que celui-ci s’était permis de copier mot pour mot, tout en le bouleversant, un manuscrit précieux du notaire Pierret, qui lui avait été prêté par le baron Marchant d’Ansembourg et qui se trouve aujourd’hui dans les archives du gouvernement, à Luxembourg[5]. Il est vrai que Bertholet indique un certain nombre de pièces justificatives comme ayant été traduites de l’allemand par Pierret ; mais il est tristement vrai aussi qu’il s’est approprié très-cavalièrement le texte même de l’ouvrage du notaire. Il se l’est approprié tout entier, sauf à y entremêler d’innombrables discussions ayant à peine trait à son sujet. Au moyen âge, on se permettait naïvement de pareils em-prunts, et personne n’y trouvait à redire ; dans les temps modernes, ces libertés se qualifient sévèrement, et c’est justice.

Bertholet n’était pas au bout de ses tribulations. Son Histoire du Luxembourg renfermait une critique de la tradition suivant laquelle le nom de la ville d’Arlon, Orolannum, Aralunæ[6], proviendrait de ce qu’un autel consacré à la lune aurait été jadis élevé sur la montagne occupée depuis par le couvent des pères capucins. L’opinion vulgaire voulait qu’une pierre antique, trouvée dans les environs et exposée devant l’image de la sainte Vierge, eût été précisément l’autel en question. Elle avait été placée devant l’autel, ajoutait-on, pour symboliser la victoire du christianisme sur l’idolâtrie. Les capucins et les magistrats d’Arlon crurent devoir réfuter les objections de Bertholet. Ils firent répandre à profusion un libelle très-violent intitulé :

  1. Luxemburgensia seu Luxemburgum romanum. Cet excellent travail a été publié par les soins de M. Neyen, à Luxembourg, en 1842 un vol. in-4o avec atlas de 99 planches.
  2. Pas plus Tetricus que Titus, quoi qu’en dise Feller, qui se montre trop sévère, par parenthèse, envers Bertholet. Voir N. Wies, Die Urbewohner der Luxemburger Landes und ihre Religion. Lux., 1850, in-4o, pp. 5 et 8.
  3. V. la Nouvelle biographie générale, t. V, col. 715.
  4. D. Calmet en possédait un exemplaire. M. Neyen dit avoir vu cet opuscule en vente, vers 1840, chez un bouquiniste d’Epinal.
  5. Essai sur l’Histoire du Luxembourg, 5 vol. — Pierret (Jean-François) naquit en 1648 et mourut le 21 avril 1737, notaire à Luxembourg.
  6. Cette dernière forme est moins ancienne que l’autre. Voir le Mémoire de M. Prat, sur les noms de lieux de la province de Luxembourg, dans les Bull. de la Comm. centrale de statistique. Brux., 1866, Hayez, in-4o, t. IX, p. 175.