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à Passy, près de Paris, en 1798. L’année suivante, il en établit une seconde dans l’ancien couvent des Chartreux, à Gand, qui devint le noyau de ces filatures si florissantes aujourd’hui dans la capitale de la Flandre, car celle-ci compte maintenant plus de cent établissements de ce genre et, grâce à cette industrie nouvelle, elle a vu doubler sa population en moins d’un demi-siècle. Trois mille ouvriers, hommes, femmes et enfants, fabriquaient dès lors chez Liévin Bauwens du coton, du basin, de la percale, du piqué, de la batiste.

D’après certaines versions, le gouvernement français l’aurait aidé dans ses entreprises en lui prêtant près de 200,000 francs pour soutenir son établissement des Chartreux ; mais, d’après d’autres versions plus vraisemblables, il trouva d’immenses ressources financières dans l’achat de lingots provenant de l’argenterie des églises et des couvents, lingots fondus à Paris, et expédiés ensuite à la banque d’Amsterdam, avec un bénéfice considérable de treize francs par marc.

Disons ici que les titres de Liévin Bauwens à être considéré comme le créateur d’une industrie aussi puissante que celle de la filature du coton à la mécanique, sont si évidents, qu’on voudrait en vain les contester. Richard Lenoir, auquel on vient d’élever une statue à Villers-Bocage, dans le département du Calvados, pour avoir prétendument importé cette industrie en France n’est, comme inventeur, qu’une individualité apocryphe. En effet, ce nom de Richard Lenoir Dufresne indique, non pas une personne, mais la firme commerciale de deux associés dont les premières mécaniques furent confectionnées sous la direction de Bauwens, à la maison de force de Gand. Les Français impartiaux reconnaissent d’ailleurs leur erreur à ce sujet et les journalistes parisiens ont eux-mêmes revendiqué[1] les titres de notre compatriote à la priorité de l’introduction[2]. En résumé, c’est au célèbre Gantois et non au prétendu Richard Lenoir qu’appartient l’honneur d’avoir introduit le premier sur le continent des filatures à la mécanique dites Mull-Jenny. On peut dire qu’il y apporta une nouvelle source de richesses et qu’il fit de la ville de Gand ce qu’elle est aujourd’hui, la métropole industrielle de la Belgique.

En 1800, le gouvernement, constitué sur des bases plus solides par le génie de Napoléon, voulut s’attacher un homme dont l’esprit progressif était apprécié par tous ceux qui étaient en relations avec lui ; il nomma Liévin Bauwens maire de sa ville natale, fonctions difficiles et laborieuses qu’il dut résigner deux ans après.

Préférant alors aux soins de l’administration les grandes entreprises industrielles, il accepta la direction des travaux de la maison de force ou de réclusion de Gand, et là encore il sut réaliser et introduire un véritable progrès social. En effet, il chercha le moyen d’utiliser sur une vaste échelle les hommes frappés par la loi qui y étaient enfermés. C’était un grand progrès surtout à nue époque où, par suite des guerres continentales, les bras manquaient pour le travail matériel. Développant par une pratique plus large les idées émises, à la fin du siècle dernier, par le vicomte Vilain XIIII dans son mémoire intitulé : Moyens de corriger les malfaiteurs, il établit, dans la prison qu’il surveillait et où il y avait environ mille cinq cents détenus, des ateliers pour diverses industries. Outre l’amélioration morale des prisonniers, le résultat de ses efforts fut de pouvoir abaisser de quatre-vingt-cinq à trente-cinq centimes le prix d’entretien, par jour, de chacun d’eux, et de former des ouvriers qui, à l’expiration de leur peine, pouvaient reprendre leur place dans la société.

La réussite couronnait la plupart de ses entreprises. Dès l’année 1801, il avait

  1. Annales du Conservatoire des Arts et Métiers et le Mémorial d’Amiens (aoûtt 1865).
  2. Voyez à ce propos le journal anglais le Standart du 30 août 1865 et l’article de Louis Ulbach dans l’Indépendance belge du 10 septembre suivant. A la suite de la polémique engagée à cette occasion, un des fils de Bauwens adressa au Standart du 15 septembre de la même année, une lettre pleine de faits irrécusables et résumant les titres qu’on voudrait vainement contester à son père. (Nobiliaire des Pays-Bas, complément, t. I, p. 341. Gand, 1866.)