Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Étienne de Chartres, y soutint une multitude de combats et y subit de déplorables revers, conséquences naturelles de l’indiscipline et de la licence. La voix de Godefroid fut parfois impuissante à rappeler ses compagnons au sentiment de leur devoir. Vaincus par les séductions de toute espèce que leur offrait le voisinage d’une ville célèbre entre toutes par ses richesses et par sa corruption, ils négligèrent les précautions nécessaires à leur sûreté et seraient tous tombés sous le fer des Turcs si la vigilance et la valeur de Godefroid et de quelques soldats restés fidèles au devoir ne les avaient préservés d’une perte certaine. Le noble caractère de ce prince, qui, selon l’expression de Guillaume de Tyr, ne cessa d’être la colonne unique (columna singularis) de l’immense armée des croisés, ne se démentit jamais, au milieu des situations les plus périlleuses et des circonstances les plus graves : terrible pour les ennemis il ne l’était pas moins pour ceux de ses compagnons qui oubliaient trop souvent le rôle de guerrier pour celui de brigand. Dans le nombre infini des combats qui eurent lieu pendant le siége d’Antioche, il ne cessa de montrer l’habileté d’un grand capitaine et de signaler sa bravoure et sa force physique par des actions que l’histoire et la poésie ont célébrées. Aucune armure, dit-on, ne pouvait résister à la force de son bras; il faisait voler en éclats les casques et les cuirasses; on assure même que d’un seul coup de sa redoutable épée il partageait en deux le corps d’un ennemi!

Enfin, dans la nuit du 3 au 4 juin 1098, la riche Antioche tomba au pouvoir des croisés, par la trahison d’un renégat. Les vainqueurs entrèrent dans la ville et y firent couler des flots de sang au cri de Dieu le veut!

Mais la terreur et le deuil succédèrent bientôt à la joie du triomphe : le troisième jour après la prise d’Antioche, on aperçut du haut des remparts la cavalerie musulmane qui parcourait la plaine et l’on apprit que c’était Korboga, sultan de Mossoul qui, après avoir rassemblé sur les bords de l’Euphrate et du Tigre les contingents de tous les princes de l’Orient, accourait au secours d’Antioche avec une armée innombrable. Les chrétiens allaient donc se trouver assiégés à leur tour dans cette immense cité complètement dépourvue de vivres. Quelques combats glorieux où Godefroid se montra terrible aux musulmans ne purent empêcher le blocus d’Antioche. La disette devint chaque jour plus cruelle et bientôt la famine commença son œuvre de destruction; les rangs des assiégés furent décimés.

Au milieu de la confusion et de la défaillance de tous, Godefroid, que son courage et sa piété avaient sans cesse soutenu, conservait encore tout son sang-froid; mais ses conseils n’étaient plus écoutés; le désespoir amolissait tous les cœurs, les uns fuyaient lâchement, d’autres reniaient leur foi pour sauver leur vie. Godefroid eut alors recours à une fraude pieuse : il répandit le bruit qu’il était en possession du fer de lance qui a percé le flanc de Jésus-Christ. Le malheur rend superstitieux; les croisés se persuadèrent que Dieu, touché de leurs misères, voulait les sauver; ils reprirent courage et consentirent à livrer une dernière bataille.

Le 27 juin 1098, l’armée chrétienne formée en six corps sortit d’Antioche; le deuxième corps était commandé par Godefroid de Bouillon; les croisés attaquèrent avec fureur les Sarrasins, mais ils furent accablés par le nombre et la déroute allait commencer lorsque l’arrivée inopinée d’un corps de cavalerie ranima l’espoir des vaincus. L’évêque Adhémar utilisa adroitement cet incident; il s’écria que c’était là une intervention divine; que saint Georges, saint Martin et saint Démétrius venaient assister les chrétiens; ceux-ci se crurent dès lors invincibles et, disent les chroniques, cent mille infidèles tombèrent sous leurs coups.

Après une victoire tellement extraordinaire qu’on ne put l’expliquer que par l’intervention directe de plusieurs saints, on espérait qu’aucune résistance sérieuse ne pouvait plus désormais arrêter la marche des croisés vers Jérusalem. Malheureusement la discorde, que la présence