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Castille. A Madrid, où il séjourna depuis le 10 octobre 1534 jusqu’au 2 mars de l’année suivante, il tint les cortès du royaume, avec le concours desquelles il fit des règlements et promulguades ordonnances sur différentes matières d’un grand intérêt pour le bien public[1].

Ce fut pendant ce séjour de Madrid qu’il prépara l’expédition qui devait être l’événement le plus glorieux de son règne. Les entreprises audacieuses d’Haradin Barberousse répandaient la terreur parmi les nations commerçantes de l’Europe, et plus encore parmi les populations chrétiennes du littoral de la Méditerranée. Ce redoutable corsaire, qui avait succédé à son frère Horuc sur le trône d’Alger, usurpé par celui-ci, ne s’était pas contenté de cet héritage : à l’aide des forces mises à sa disposition par Soliman II, sous la suzeraineté duquel il s’était placé et qui l’avait fait son grand amiral, il avait conquis le royaume de Tunis. Maître des deux États les plus considérables de la côte africaine, reconnu par tous les pirates pour leur chef, pouvant compter, au besoin, sur l’appui des flottes ottomanes, il faisait des descentes fréquentes et inattendues en Sicile, en Italie, en Espagne, tandis que ses vaisseaux infestaient la Méditerranée; le nombre allait chaque jour croissant des chrétiens des deux sexes pris par lui sur terre et sur mer; les plus jeunes et les plus belles femmes étaient destinées aux harems des riches musulmans; une dure captivité était le partage des hommes. L’Europe retentissait des plaintes des malheureux qui avaient perdu leurs proches, ou qui les pleuraient vivants, mais condamnés à l’opprobre et à la servitude. Tous les regards étaient tournés vers l’empereur, comme celui qui seul pouvait mettre un terme à tant de brigandages; tous les vœux l’appelaient à venger la chrétienté des insultes du roi corsaire. Si son grand cœur ne l’y eût porté naturellement, la protection qu’il devait à ses sujets aurait fait une loi à Charles de répondre à cet appel : aussi n’hesita-t-il pas. Résolu à attaquer Barberousse au centre même de sa puissance, il fit passer des instructions à ses vice-rois et aux commandants de ses troupes, en Espagne et en Italie, sur le concours que chacun d’eux aurait à lui prêter; il écrivit, pour réclamer leur assistance, au pape, aux rois de France et de Portugal et aux princes italiens.

Le 3 avril 1535 il arriva à Barcelone, qu’il avait choisie pour point de réunion d’une partie de son armée. Là vinrent successivement une escadrille envoyée par le roi Jean III de Portugal, les galères d’Andrea Doria, celles d’Espagne que conduisait don Alvaro de Bazan, et le marquis de Mondejar, capitaine général de Grenade, avec une cinquantaine de navires, amenant les troupes et les munitions de guerre et de bouche qui avaient été rassemblées en Andalousie. Lorsque ces forces furent réunies, Charles fit ses dispositions de départ. Le 28 mai il alla en pèlerinage à Notre-Dame de Monserrat ; il s’y confessa et y communia; le 30, en même temps qu’il donnait l’ordre d’appareiller aux différentes divisions de la flotte, il s’embarqua sur la galère qu’Andrea Doria commandait en personne. Il partait accompagné de son beau-frère l’infant dom Luis de Portugal et d’une multitude de gentilshommes des premières familles de ce pays et de l’Espagne. Comme en 1529, il avait confié à l’impératrice, pendant son absence, le gouvernement de ses royaumes de Castille et d’Aragon; il avait aussi fait un acte de dernière volonté[2] par lequel plusieurs de ses précédentes dispositions testamentaires étaient modifiées. Contrarié les premiers jours par le vent, il mouilla, le 10 juin, dans la rade de Cagliari, où l’attendaient, outre six galères du pape et quatre de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, les galères, galions, carraques et autres navires qui portaient l’infanterie espagnole, allemande, italienne, tirée du Milanais et des royaumes de Naples et de Sicile. L’armée navale se trouva ainsi forte de soixante-quatre galères, trente galiotes, brigantins et fustes et environ trois cents

  1. Voy. Lafuente, t. IX, p. 526 et suiv.
  2. A Madrid, le dernier de février 1535.