Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/382

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camp, traversa l’Elbe. La cavalerie impériale fit trois lieues, toujours galopant, avant d’atteindre les fuyards. Jean-Frédéric, à son approche, crut n’avoir affaire qu’à une avant-garde ; il résolut de s’arrêter et de se fortifier dans un bois plein de marécages et d’un accès difficile, d’où, la nuit, il pourrait opérer sa retraite sur Wittenberg : dans ce dessein il fit charger les impériaux par tous, ses gens de cheval et toute son arquebuserie de pied. L’empereur suivait de près son avant-garde ; il ordonna lui-même une charge contre les Saxons, et sa cavalerie les attaqua avec une telle impétuosité qu’ils se mirent en désordre et se jetèrent dans les bois, où les impériaux entrèrent avec eux et en firent un grand carnage. Cette action leur coûta plus de mille hommes tués, et un nombre considérable de blessés et de prisonniers : la perte des impériaux ne fut que de sept ou de huit hommes. Parmi les prisonniers étaient l’électeur Jean-Frédéric et le duc Ernest de Brunswick[1] : l’électeur assistait au prêche quand on vint lui dire que l’empereur traversait l’Elbe ; il n’en voulut pas moins entendre le sermon jusqu’à la fin[2]. La poursuite des Saxons dura jusqu’à minuit. Alors seulement Charles, avec le roi Ferdinand et les archiducs, reprit le chemin de son camp[3].

Telle fut l’issue de la bataille de Mühlberg[4]. La victoire de Charles-Quint était complète : au jugement de bien du monde, elle était plus grande, plus importante encore que celle remportée par ses lieutenants, quand ils firent prisonnier le roi de France[5] : à dater de ce jour, en effet, quoique le landgrave de Hesse eût encore ses troupes sur pied, et que plusieurs villes de la ligue de Smalkalde n’eussent pas fait leur soumission à l’empereur, on put considérer la guerre des protestants comme terminée, et comme désormais établie la suprématie impériale en Allemagne. Charles, avant de quitter le champ de bataille, commanda au duc d’Albe de lui amener l’électeur de Saxe. Ce prince, qui avait combattu vaillamment jusqu’à la fin, avait le visage couvert de sang, par suite d’un coup d’épée qu’il avait reçu à la joue gauche ; sa contenance était ferme[6] malgré son malheur. Il voulut descendre de cheval et ôter son gant pour toucher la main de l’empereur suivant la coutume d’Allemagne ; Charles ne le souffrit pas. S’étant découvert, il dit : « Très-puissant et très-gracieux empereur, je suis votre prisonnier. » Charles lui répondit : « Vous me traitez d’empereur maintenant ; c’est un nom bien différent que vous aviez l’habitude de me donner : » faisant allusion par là aux écrits où, lorsqu’ils conduisaient l’armée de la ligue, lui et le landgrave l’appelaient Charles de Gand, celui qui se croit empereur ; il ajouta que ses actions l’avaient réduit à l’état où il se voyait. Jean-Frédéric ne répliqua rien ; il baissa la tête ; puis la relevant, il supplia l’empereur de le traiter comme son prisonnier : à quoi Charles repartit qu’il serait traité selon ses mérites. Il ordonna qu’il fût conduit au camp sous bonne garde ; le duc d’Albe le remit aux mains d’Alonso Vives, mestre de camp d’un régiment espagnol[7].

  1. Ce fut, d’après Mocenigo, Hippolito da Porto, vicentin, capitaine de cinquante chevau-légers, qui prit l’électeur et le conduisit au duc d’Albe. L’empereur, en récompense de cet exploit, le fit chevalier et lui donna 200 écus de pension sur l’État de Milan.
  2. C’est ce que rapporte. Mocenigo. D’Avila s’exprime ainsi : « On dit que, quand l’empereur arriva au gué, le duc entendait le sermon selon la coutume des luthériens ; mais je pense qu’après avoir su notre venue, le temps qu’il consuma à écouter encore son prêcheur ne dut pas être long. » (Comentario, fol. 63.)
  3. Relation de la bataille de Mühlberg, dans les Papiers d’État de Granvelle, t. III, p. 262. — Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, du 25 avril 1547, dans Lanz, t. II, p. 561. — Commentaires de Charles-Quint, pp. 183-195. — D’Avila, fol. 60-67. — Mocenigo.
  4. Charles, attribuant à Dieu sa victoire, répéta les trois paroles de César, en changeant la dernière : Vine y ví y Dios venció : « Je suis venu, j’ai vu, Dieu a vaincu. » (D’Avila, fol. 69.)
       Ce que rapporte D’Avila est confirmé par l’ambassadeur Mocenigo.
  5. « La quale vittoria vogliono molti che sia stata maggiore et più importante assai che quella quando Cesare hebbe priggione Francesco re di Franza….. » (Mocenigo)
  6. C’est ce qui fait dire au secrétaire Bave, écrivant à la reine Marie le 23 avril : « Lorsqu’il fut mené à Sa Majesté, parla d’une aussi grande arrogance qu’il feit oncques….. » (Alex. Henne, t. VIII, p. 307)
       D’Avila rend hommage à la constance que Jean-Frédéric montra dans son malheur. (Comentario, fol. 71.)
  7. D’Avila, fol. 69 v°.