Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/383

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Le courroux de Charles contre l’electeur était grand; il voulait lui faire trancher la tête comme à un vassal rebelle et hérétique; son confesseur l’y excitait; c’était aussi l’avis du roi Ferdinand[1] et de plusieurs dts ministres : le duc d’Albe et l’évêque d’Arras, Antoine Perrenot, (monsieur de Granvelle, son père, était en ce moment en Bourgogne) lui conseillèrent, déterminés surtout par des considérations militaires et politiques[2], de faire grâce de la vie à son prisonnier, à des conditions qui lui assurassent tous les fruits de sa victoire[3]. Charles, à qui Torgau et plusieurs autres places s’étaient rendues aussitôt après la défaite de l’électeur, décampa le 27 avril pour marcher sur Wittenberg; le 4 mai il passa l’Elbe et se présenta devant cette ville[4]. Le jour suivant, l’électeur de Brandebourg, Joachim II, arriva à son quartier général; il venait le supplier d’avoir pitié du duc de Saxe; ce prince était prêt à s’en remettre entièrement à son bon plaisir, pourvu qu’il eût la vie sauve[5]. Le duc de Clèves, beau-frère de Jean-Frédéric, et les ambassadeurs du roi de Danemark[6] joignirent leurs sollicitations à celles de l’électeur Joachim. Charles cousentit à entrer en négociations. Le chancelier du duc avait été pris en même temps que lui; l’évêque d’Arras eut ordre de s’aboucher avec tous deux; il était, parmi les principaux ministres de l’empereur, le seul qui possédât la langue allemande. Après de longs pourparlers[7], le traité fut conclu le 18 mai. Jean-Frédéric renonçait, pour lui et ses successeurs, à l’électorat de Saxe, approuvant toute disposition que l’empereur en voudrait faire en faveur de qui que ce fût. Il s’obligeait à remettre à l’empereur les villes et forteresses de Wittenberg et de Gotha; à restituer aux comtes de Solms et de Mansfelt Sonnewald et Heldrungen, et aux grand-maître de Prusse et autres, ecclésiastiques ou séculiers, ce qu’il leur avait pris; à rendre sans rançon le marquis Albert de Brandebourg; à n’entretenir ni favoriser aucune pratique avec les ennemis de l’empereur et du roi des Romains, en la Germanie ni dehors; à observer ce que l’empereur, avec la participation des etats de l’Empire, ordonnerait pour le bien, quiétude et tranquillité de l’Allemagne. Il consentait à la délivrance des ducs de Brunswick, père et fils, et à la restitution de tous leurs biens, pays et États. De son côté, l’empereur s’engageait à mettre en liberté et recevoir en sa grâce le duc Ernest de Brunswick, « après qu’il aurait fait l’humiliation et prié mercy; » il remettait au duc-Jean-Ernest, frère de Jean-Frédéric, lapeine qu’il avait encourue. Les biens que l’électeur possédait ayant été donnés au roi des Romains et au duc Maurice, ce dernier s’obligeait à payer à ses enfants

  1. Voy. la lettre de Bave ci-desus citée. — L’évêque d’Arras, écrivant le même jour à la reine Marie, lui disait aussi : « A ce que je puis appercevoir, S..M. à voulonté de tost faire trancher la teste à Jehan-Frédéric de Saxe. » (Arch. imper. à Vienne.)
  2. Ces considérations sont déduites dans une lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du 20 mai, qui est en original aux Archives impériales, à Vienne.
  3. Le secrétaire Bave écrivait à la reine Marie le 21 mai : « Il y a eu de la payne beaucoup avant que venir en ces termes : car le personnage qui n’est amy des Mendis (le confesseur) a fait tout ce qu’en luy a esté pour l’empescher et faire mourir le prisonnier, et en avoit gagné deux à sa part : mais messieurs le duc d’Albe et d’Arras y sont esté contraires, y ayant fait très-bon office. » (Arch. impér. À Vienne.)
       Sleidan, de Thou, Robertson, Sismondi et d’autreshistoriens parlent d’une sentence de mort qui aurait été rendue contre l’électeur de Saxe; Robertson et Sismondi font rendre cette sentence par une cour martiale ou un conseil de guerre composé d’officiers espagnols et italiens « et que présidait l’impitoyable duc d’Albe, instrument toujours prêt à servir pour un acte de violence. » Nous ne savons pas sur quel témoignage ces historiens se sont fondés pour avancer ce fait. On vient de voir que l’impitoyable duc d’Albe contribua, au contraire, à ce que la vie fût conservée à Jean-Frédéric, et dans les correspondances des ministres de Charles-Quint avec la reine Marie qui sont aux archives de Vienne, il n’y a pas un mot qui se rapporte, soit à une sentence qui aurait été rendue contre ce prince, soit à un tribunal qui aurait été réuni pour le juger.
  4. Journal de Vandenesse.
  5. Journal de Vandenesse.
  6. Le duc de Clèves était venu trouver Charles-Quint à Egra, le 6 avril. Les ambassadeurs de Danemark l’avaient précédé à la cour impériale. (Journal de Vandenesse.)
  7. Dans sa lettre du 20 mai citée plus haut, l’évêque d’Arras disait à la reine : « Pour estre la tractation telle que V. M. verra et touchant à tant de gens, elle peut croire que je n’en ay eu peu de payne; et enfin le prisonnier (Jean-Frédéric), homme autant cault que je n’ay guères veu, assisté il’un sien chancellier, aussi prisonnier, est condescendu aux articles qui vont avec cestes..... »