Page:Bird - Voyage d’une femme aux Montagnes Rocheuses, 1888.pdf/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
AUX MONTAGNES ROCHEUSES

apprécie beaucoup. « Si vous voulez savoir, continuat-il, comment un homme devient à peu de chose près un démon, je vais vous le dire. » Je ne pouvais qu’écouter, Tout en montant le canyon, l’une des plus sinistres histoires de la ruine d’une existence que j’aie entendues ou lues. Le début en était très-simple. Le père de M. Nugent, officier anglais en garnison à Montréal, était d’une ancienne et bonne famille irlandaise. Lui, d’après son récit, était alors un jeune garçon indiscipliné ; son éducation était imparfaite, et il tyrannisait sa mère, aimante mais faible. Il avait dix-sept ans lorsqu’il s’éprit, avec toute l’ardeur d’une nature effrénée, d’une jeune fille d’une beauté angélique qu’il rencontra à l’église. Il la vit trois fois, et ne lui parla qu’à peine. Sa mère s’étant opposée à des désirs qu’elle traitait de folie de jeune homme, il se mit à boire pour la chagriner. La jeune fille mourut un an après ; désespéré, il s’enfuit, à peine âgé de dix-huit ans, de la maison paternelle, et entra au service de la Compagnie de la baie d’Hudson. Il y resta plusieurs années, et ne le quitta que parce que même cette vie de désordres était trop sévère pour lui. Ayant alors environ vingt-sept ans, je suppose, il se mit au service du gouvernement des États-Unis, et devint l’un des fameux éclaireurs indiens des Plaines, se distinguant par quelques-uns des faits les plus audacieux dont on se souvienne, et aussi par quelques-uns des crimes les plus sanglants ! J’avais déjà entendu raconter quelques-unes de ces histoires, mais jamais d’une façon si terrible. Il doit avoir passé plusieurs années au service de l’Union, jusqu’à ce qu’il soit devenu un