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VIE ET ŒUVRE

1852. Il faut vous dire que, près du camp, il y a un aoul qu’habitent les Tchetchenzes. Un jeune garçon Tchetchenze, Sado, venait au camp et jouait, mais comme il ne savait pas compter et inscrire, il y avait des chenapans qui le trichaient. Je n’ai jamais voulu jouer pour cette raison contre Sado, et même je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’il jouât, parce qu’on le trompait, et je me suis proposé de jouer pour lui par procuration. Il m’a été très reconnaissant pour cela et m’a fait cadeau d’une bourse comme c’est l’usage de cette nation de se faire des cadeaux mutuels, je lui ai donné un misérable fusil que j’avais acheté pour huit roubles. Il faut vous dire que pour devenir kounak, c’est-à-dire ami, il est d’usage de se faire des cadeaux et puis de manger dans la maison du Kounak. Après cela, d’après l’ancien usage de ces peuples (qui n’existe presque plus que par tradition), on devient amis à la vie et à la mort, c’est-à-dire que si je lui demande tout son argent ou sa femme, ou ses armes, ou tout ce qu’il a de plus précieux, il doit me les donner, et moi aussi je ne dois rien lui refuser. Sado m’a engagé de venir chez lui et d’être kounak. J’y suis allé. Après m’avoir régalé à leur manière, il m’a proposé de choisir dans sa maison tout ce que je voudrais, ses armes, son cheval… tout. J’ai voulu choisir ce qu’il y avait de moins cher et j’ai pris une bride de cheval montée en argent, mais il m’a dit que je l’offensais et m’a obligé de prendre un sabre qui vaut au moins cent roubles argent.