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LÉON TOLSTOÏ

appris pour la première fois que ces punitions se pratiquaient chez nous.

« Un jour, nous, les enfants, en rentrant de la promenade avec notre précepteur, nous rencontrâmes près de l’enclos notre gros gérant André Iline et un palefrenier Kouzma, homme marié, pas très jeune, qui le suivait avec une mine triste qui nous étonna tous. Quelqu’un de nous demanda à André Iline où il allait, et il répondit très tranquillement qu’il allait à la grange pour y châtier Kouzma. Je ne puis décrire le sentiment terrible que produisirent sur moi ces paroles et l’air du bon et triste Kouzma. Le soir, je racontai cela à Tatiana Alexandrovna, qui nous élevait, et qui haïssait les punitions corporelles et ne les admettait pas plus pour nous que pour les serfs, là où elle pouvait avoir de l’influence. Elle fut révoltée de ce que je lui racontai, et me dit avec reproche : « Alors pourquoi ne l’avez-vous pas arrêté ! » Ces paroles me rendirent encore plus triste… Je n’avais nullement pensé que nous pussions nous mêler d’une affaire pareille, et il résultait que nous le pouvions. Mais il était trop tard, et l’affreux châtiment était accompli.

« Je reviens à ce que je savais de mon père et à l’image que je me fais maintenant de sa vie. Son occupation était l’exploitation et, principalement, les procès. Ils abondaient alors chez tous, mais, à ce qu’il me semble, ils étaient particulièrement nombreux chez mon père, qui devait liquider les affaires de mon grand-père. Ces procès obligeaient mon