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LÉON TOLSTOÏ

mon petit corps m’entoure. C’était probablement du son qui devait être dans l’eau du baquet. La nouveauté de l’impression du son m’éveilla et pour la première fois je remarquai et aimai mon petit corps aux côtes visibles sur la poitrine, et le baquet poli, les bras découverts de ma vieille bonne, et l’eau chaude, et surtout la sensation des bords lisses, mouillés, du baquet, quand je passais les mains dessus.

« C’est étrange et terrible de penser que depuis ma naissance jusqu’à l’âge de trois ans, — période pendant laquelle on m’a allaité, emmaillotté, pendant laquelle j’ai commencé de grimper, de parler, de marcher, — j’ai beau chercher dans ma mémoire, je ne puis trouver aucun autre souvenir, sauf ces deux. Quand ai-je commencé ? Quand ai-je commencé à vivre ? Pourquoi m’est-il joyeux de me représenter ce temps, tandis qu’il m’est terrible de songer au moment où je rentrerai de nouveau dans cet état de mort duquel ne restera pas de souvenirs exprimables par des paroles ? N’ai-je pas vécu alors, quand j’apprenais à regarder, écouter, comprendre, parler, quand je dormais, tétais, riais et égayais ma mère ? J’ai vécu et vécu béatement ! N’est-ce pas alors que j’ai acquis tout ce dont je vis maintenant, et tant et si rapidement que, durant tout le reste de ma vie, je n’ai pas acquis un centième de tout cela ? De l’enfant de cinq ans jusqu’à moi, il n’y a qu’un pas. De l’enfant nouveau né jusqu’à cinq ans, il y a une distance